Le Calame : Un cas de viol très pathétique vient d’être commis à Dar Naim, ce n’est pas nouveau mais le fait qu’il se soit déroulé sous les yeux d’un papa malade accentue l’émotion de l’opinion. Comment la maman et la députée que vous êtes a-t-elle accueilli cet acte ignoble ?
Kadiata Malick Diallo : Avant tout je suis une mère en peine, scandalisée par le dernier cas de viol de Dar Naïm qui, comparativement à d'autres non moins ignobles, se distingue par le cynisme inqualifiable de ses auteurs. En ma qualité de députée, de citoyenne, je me félicite que tous les Mauritaniens aient manifesté leur colère, condamné cet acte odieux et exigé que le pouvoir prenne ses responsabilités afin de mettre fin à ces crimes récurrents.
Depuis quelques années, les organisations féministes réclament à cor et à cri l’adoption par le Parlement de la loi protégeant les femmes (violence contre le genre) - on vient d’ailleurs d’en célébrer la journée internationale. Qu’est-ce qui bloque l’adoption de cette loi appelée KARAMA ? Pensez-vous que cet acte pourrait forcer la décision des députés que vous êtes ?
‐ Avec cet énième acte de viol, sur cette étudiante, tout le monde doit avoir à l’esprit le projet de loi sur les violences faites aux femmes, dont le blocage incompréhensible, qui dit se fonder sur l'évocation de raisons pour le moins irréalistes, heurte tout esprit doté de bon sens. On évoque des passages qui ne seraient pas conformes à la charia. À supposer que cela soit réel, comment peut-on comprendre que depuis quatre ans, le gouvernement soit incapable ou ne veuille apporter des corrections à son projet, avec tous les arguments et les instruments dont il dispose ? Le projet, une fois déposé au Parlement, est encore susceptible d’être amendé. Malgré tout ça, on semble redouter de faire passer une loi qui comporterait des articles contraires à la charia. La réalité, c’est qu’il y a, de l'autre côté du rideau, des forces obscurantistes très puissantes qui s’opposent au principe même de doter le pays d’un tel instrument juridique. Le gouvernement est visiblement soumis au diktat et à la pression de ces forces. Dans l'état où en sont actuellement les choses, je doute malheureusement que nos honorables parlementaires puissent nous tirer d’affaire.
Au sortir d’une présidentielle contestée par certains candidats, le candidat réélu Mohamed Cheikh Ghazwani a proposé la tenue d’un dialogue politique inclusif. A votre avis, pourquoi cette offre ? L’opposition divisée depuis les locales de 2023 et la présidentielle de 2024 doit-elle accepter la main tendue du président de la République ? Que pourrait-elle en attendre ?
L'opposition mauritanienne serait plus avisée en assainissant les rapports en̈tre ses composantes d'abord, par des concertations en interne, dans la perspective d'une stratégie de luttes unitaires, avant de s'engager dans un dialogue dont personne ne comprend les tenants et les aboutissants. Cette offre de dialogue, comme vous l'appelez, reste encore informelle, et la main tendue invisible. Nous ne voyons pas, à ce stade, l’intérêt de s’engager dans ce qui ressemble plus à un jeu sans objet.
Vous avez eu connaissance des engagements électoraux du président Ghazwani. La DPG de son premier ministre devant le Parlement est-elle de nature à rassurer et à satisfaire les nombreuses attentes des mauritaniens ?
Je me suis exprimée à l'Assemblée Nationale, lors de la présentation de la DPG du Premier ministre. En dépit du contenu alléchant du discours, destiné à séduire plus qu'à convaincre, j'avais dit que je n'attendais pas grand-chose de ces promesses électorales. Aux Mauritaniens qui vivent la réalité de juger. Peut-on imaginer par exemple que les conditions de vie des citoyens se sont améliorées ? La baisse des prix des denrées de première nécessité a juste été une annonce. Le chômage et le sous-emploi qui ne cessent de s’accentuer ôtent tout espoir aux jeunes. Une ouverture des classes chaotique (manifestations et grèves des enseignants, des parents d’élèves et même des écoles privées), la pénurie d’eau à Nouakchott, l’insécurité avec une recrudescence des cas de viols et de meurtres dont on a parlé plus haut sont autant de problèmes qui assombrissent le tableau.
Les promesses de parachèvement des travaux des infrastructures à Nouakchott avant la fin de l’année ne pourront pas être tenues. La lutte contre la gabegie à laquelle personne ne croit. La liste est longue.
Depuis le début de la rentrée scolaire, des parents d’élèves, les promoteurs des écoles privés et les enseignants tiennent des sit-in en vue de protester contre la mise en œuvre de la loi d’orientation, votée par le Parlement depuis 2022. Comprenez-vous leurs revendications ? Sont-elles légitimes et réalisables ?
Tous ceux qui protestent en ce début turbulent de l'année scolaire, ceux que vous avez nommés en particulier, ont bien raison de le faire. Je salue d’ailleurs l’esprit de combativité dont font preuve les enseignants et dénonce en même temps l’attitude négative du pouvoir qui, non seulement ne fait aucun effort pour satisfaire leurs revendications, choisit plutôt de les réprimer farouchement lors de leurs manifestations pacifiques.
Pour la loi d’orientation, malgré des insuffisances que nous avons dénoncées et continuons à déplorer, il s’agit plus de problèmes de mise en œuvre, de préparation de conditions convenables et du manque de sérieux ou de compétence qui caractérise ceux qui ont la charge d’engager la réforme.
Que pensez-vous l’expérimentation de l’enseignement des langues nationales en vigueur à Nouakchott et dans certaines localités du pays ?
Je pense qu’il est très tôt pour évaluer l’expérimentation de l’enseignement des langues qui n’a même pas fait deux mois encore. Il semble que la formation des enseignants a été bien menée et les dispositions qui ont été prises pour l’ouverture semblent suivre le schéma de l’ancien institut des langues nationales. Espérons que toutes les dispositions vont être prises pour mener à bien cette entreprise.
Comment avez-vous trouvé la gestion des inondations dans la vallée par les pouvoirs publics ?
Je n’ai pas été moi-même sur le terrain, mais certains de mes collègues députés et d’autres acteurs qui ont visité les zones inondées ont estimé que les interventions du gouvernement n’ont pas été à la hauteur.
Le règlement consensuel du dossier « passif humanitaire », exprimé par le président de la République depuis son premier quinquennat continue à traîner en longueur. Que pouvez-vous nous dire, vous qui vous battez depuis plus de 30 ans sur les tentatives en cours, entre les organisations de défense des victimes et le gouvernement ? Avez-vous été sollicitée par le gouvernement et les organisations, dans les démarches en cours?
Malheureusement, comme vous dites, la solution du dossier communément appelé Passif humanitaire se fait toujours attendre. Le Commissaire aux droits de l’homme que j’ai interpellé ces jours-ci à l’Assemblée nationale, sur cette question, a voulu me rassurer que ses discussions avec les organisations des victimes progressent et qu’il y aurait des points forts de convergence qui inclurait une justice transitionnelle (l’expression est de lui !). Je reste, quant à moi, sceptique car la démarche n’inspire pas confiance. Un problème de cette gravité, requiert une approche nationale inclusive et transparente. C’est un problème qui ne peut se régler en catimini. Une première mesure qui aurait pu donner de l’espoir est que dans son discours du 28 novembre, le président de la République exprimât le regret que cette date de l’indépendance continue de porter la souillure des 28 soldats tués à Inal en 1990 et qu’il s’engage à la laver.
Paradoxalement, six jours après la commémoration de la fête de l’indépendance, le Président Mohamed Cheikh Ghazouani est allé à Dakar, à l’occasion du 80e anniversaire des massacres de Thiaroye et y a rendu un vibrant hommage à ses victimes. C’est à se demander pourquoi alors, le Président Ghazouani n’a pas le même sentiment vis à vis de ce qui s’est passé chez lui. Peut-on être un internationaliste confirmé sans être un nationaliste authentique ? J'en doute.
Propos recueillis par Dalay Lam
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