"Tue-le ! Tue-le !": le rhum aidant, les esprits des parieurs s'échauffent vite pendant le sanglant combat que se livrent deux coqs dans l'arène de ce gallodrome de Caracas. Signe des temps, ici, on parie désormais en dollars et on laisse la politique hors des gradins.
"Tout le monde vient ici. Des pauvres, des riches, des gens politisés, d'autres qui ne le sont pas. Y'a de tout", se réjouit Angel Salamanca, gérant d'un club qui organise des combats de coqs dans le quartier d'El Silencio à Caracas.
Fortement critiqués par les défenseurs de la cause animale qui dénoncent leur "cruauté", les combats de coqs sont illégaux dans de nombreux pays d'Occident.
A Porto Rico, territoire américain, la pratique a récemment créé la polémique. En décembre, la gouverneure a promulgué une loi autorisant les combats, défiant ainsi la législation fédérale américaine qui les prohibe.
Au Venezuela, les aficionados continuent d'organiser des combats de coqs en toute liberté au nom d'une "culture" héritée des colons européens. "Dans ce pays, les puissants parient sur les combats de coqs", relève un amateur.
Ce samedi, les gradins du gallodrome d'El Silencio sont pleins à craquer. On boit du rhum, du whisky, de la bière.
Et, scène impensable il y a seulement un an, les bouteilles se règlent en dollars tout comme les paris qui se font dans la devise de l'"Empire" américain, honni du président socialiste Nicolas Maduro.
- De 5.000 à 30.000 dollars -
On parie 10, 20 et jusqu'à 50 dollars et on paye sa bouteille de rhum cinq dollars. Ici, le billet vert est le nouveau roi, comme dans plus en plus de strates de l'économie vénézuélienne mise à mal par sept ans de crise.
Le bolivar a perdu 98,6% de sa valeur en 2019. De quoi achever le peu de confiance que les Vénézuéliens lui portaient encore. Résultat, ils se tournent toujours plus vers le dollar, avec l'assentiment de Nicolas Maduro.
En 2020, 70% des transactions devraient s'effectuer en dollars au Venezuela, contre la moitié en 2019, selon le cabinet Ecoanalitica.
Et puis, explique Angel Salamanca, le dollar a un aspect pratique pour les paris sur les combats de coqs. Les billets de bolivars étant très rares, les parieurs ont un temps opté pour les transferts électroniques, de compte bancaire à compte bancaire, mais beaucoup "ne payaient pas". D'où le recours systématique à la monnaie américaine.
Ici, on parle gros sous. Dans certains gallodromes vénézuéliens, le plus gros prix attribué au propriétaire d'un coq spécialement valeureux peut aller de 5.000 à 30.000 dollars, une fortune dans un pays où le salaire minimum est d'environ 6 dollars par mois.
- "Tout oublier" -
Avant le combat, les gallinacés sont pesés et examinés. Une fois dans l'arène, les animaux s'affrontent sous les cris de la foule, "un peu comme dans la boxe", note un spectateur. Sauf qu'ici, il n'est pas rare que l'un des deux combattants succombe.
Manifestement éméché, un entraîneur dont le coq vient de remporter un combat embrasse son animal. Un autre susurre à l'oreille du sien avant le duel pour "lui porter chance".
Des règles implicites règnent dans les gallodromes: on laisse ses opinions politiques à l'entrée. On ne traite pas Nicolas Maduro de "dictateur", comme le fait, à l'extérieur, une partie de l'opposition. Et on ne qualifie pas de "marionnette des Etats-Unis" Juan Guaido, le chef de file de l'opposition qu'une cinquantaine de pays reconnaissent comme président par intérim.
"On ne parle jamais de politique, on vient pour tout oublier", assure Avilio Subero, propriétaire d'un gallodrome à la Cota 905, un quartier de Caracas qui fait souvent la Une pour les meurtres et fusillades qui s'y déroulent.
Le public est surtout composé d'ouvriers, de fonctionnaires des impôts mais aussi de militaires.
Ce jour-là, dans l'établissement de M. Subero, le prix attribué au propriétaire dont le coq aura eu le plus de mérite ne se chiffre pas en dollars, mais en kilos. En jeu, un cochon de 30 kilos.
Maria, dont le mari est entraîneur de coqs, salive déjà à la vue du cochon et lâche: "Ah, cette oreille frite..."
AFP