Un troisième mandat pour le président Ould Abdel Aziz qui devrait quitter le pouvoir en 2019 au terme de son second mandat à la tête du pays ! Le sujet qui -perturbe et- plane sur tous les ateliers du dialogue organisé depuis le 29 septembre au Palais des Congrès, s’est invité au conseil des ministres de jeudi dernier. De sources informées, il aurait même pris l’essentiel du temps prévu pour les travaux du gouvernement. Tour à tour, la majorité des ministres a pris la parole après que le président de la République ait demandé leurs avis, la question étant d’importance, d’autant plus qu’elle retenait l’attention des participants au dialogue en cours.
Pour les intervenants, une telle perspective était bel et bien envisageable… Parce que le programme du président de la République et ses ambitions « louables » pour le pays exigent davantage de temps, et parce que « après lui, ce pourrait bien être le déluge ». Des ministres auraient même poussé le point plus loin en considérant que le refus d’un troisième mandat peut être considéré comme étant une trahison pour le peuple.
Et c’est bien finalement, au sortir dudit conseil que le ministre porte parole du gouvernement a voulu transmettre cet état d’esprit à l’opinion nationale et internationale ! A l’adresse de la presse, il a en effet laissé entendre que le président de la République peut briguer autant de mandat à l’image des maires, députés et sénateurs : « les maires, les députés et les sénateurs briguent des postes éligibles depuis le début du processus démocratique, sans s’arrêter à deux mandats seulement. Et pourquoi ne donne-t-on pas ce droit au premier Magistrat de la République », a-t-il relevé, non sans faire remarquer qu’une telle idée est largement partagée par les participants au dialogue.
Et le ministre de préciser en substance que l’amendement de l’article relatif aux mandats présidentiels est désormais une question posée, qui peut faire ou non l’objet d’un consensus. Puis, le ministre d’ajouter : « ce que le dialogue n’arrivera pas à trancher sera porté à l’appréciation du peuple dont la volonté est au dessus de la Constitution ». Est-ce à dire que la question sera portée à l’adresse du peuple lors du prochain referendum ? Peut être bien, même si l’on sait qu’en l’espèce cela ne peut se faire du fait du verrouillage de la constitution en ce point !, En tout état de cause, les propos du ministre sont loin d’être anodins, selon tous les observateurs qui craignent que ce ne soit cette idée qui serait finalement l’une des principales raison -sinon la principale- qui ait amené le pouvoir à organiser le présent dialogue inclusif. En fait, si l’on observe le développement de l’actualité politique dans le pays depuis l’entame du second mandat du président Ould Abdel Aziz, tout porte à croire que l’idée hante le pouvoir et en premier lieu le président de la République. Ayant hérité d’une constitution qu’il n’a pas mis en place et qui limite ses mandats à deux, Ould Abdel Aziz se trouverait à l’étroit dans son fauteuil.
Celui qui a pris le pouvoir par la force des armes des mains de Ould Taya – au sacrifice de sa vie et celle de sa famille disent certains- ne serait pas prêt à le lâcher d’autant plus que non seulement il ne sait pas de quoi sera fait demain, lui qui n’a pas seulement que des amis tout autour, mais mieux, l’Afrique lui a procuré des précédents susceptibles de l’aider à garder son pouvoir. L’exemple des deux Congo ; celui du Tchad, du Togo et même de la Côte d’Ivoire où le chef de l’État Alassane Ouatarra se préparerait à entraîner le pays dans une seconde République sont là, qui planchent en sa faveur.
C’est dans cette perspective qu’il faudrait placer les annonces de deux ministres de son gouvernement, en début de présente année où ils avaient revendiqué un troisième mandat pour le président de la République alors qu’ils faisaient face aux députés de l’Assemblée nationale. Forts de ces sorties, des hommes politiques, des chefs de tribus et même des érudits ont profité de chacune de leurs audiences en public comme en privé, pour revendiquer le droit à un troisième mandat au profit du président Ould Abdel Aziz. La question ne figurant pas dans les points à l’ordre du jour, préalablement établis par la commission chargée de l’organisation du dialogue, s’est d’emblée invitée aux discussions.
Ce fut d’abord le tonitruant député de l’Union pour la République, transfuge de l’opposition, Khalil Ould Tiyeb, qui a évoqué la question portant sur la levée de la disposition constitutionnelle sur la limitation des mandats pour permettre au président d’en briguer un troisième. L’intervenant a procédé d’abord à un parallèle avec la demande de partis d’opposition, participant à ce dialogue national, de prolonger l’âge limite pour être candidat à la présidence de la République, fixé actuellement à 75 ans, puis il a ajouté : « le déverrouillage de ces articles (de la Constitution) concernant l’âge du président doit s’étendre également à ses mandats limités à deux par la Constitution ».
Il n’en fallait pas plus, pour éveiller les esprits. Dans les rangs de l’UPR et de la majorité présidentielle comme au sein de la société civile, le coup d’envoi était donné : l’épreuve consistait à se distinguer et surtout à se faire remarquer dans la campagne pour le maintien du président Ould Abdel Aziz, au-delà de ses deux mandats. Certains vont même pousser plus loin les débats en proposant la création en Mauritanie, d’un Royaume à la tête duquel on placerait Ould Abdel Aziz et sa famille !.
Contre attaque
Finalement, le RFD et les partis du Forum de l’opposition pourraient bien avoir vu juste très tôt les intentions du pouvoir, eux qui ont d’emblée rejeté le dialogue, persuadés qu’ils étaient, que ce pouvoir « avait dans son sac plus d’un tour ». En fait, depuis l’annonce par le président Aziz de son projet de révision constitutionnelle début 2016, l’opposition n’a jamais cessé de mettre en garde contre les "desseins inavoués qui sont derrière le tripatouillage constitutionnel envisagé par le pouvoir". En aval, compte tenu des derniers développements, ils ont tenus à revenir sur la question. Et par la voix de Gemil Mansour, le président de Tewassoul, ils ont déclaré qu’ils « ne sauraient saurait prendre part à une mascarade dans laquelle l’idée d’un changement de mandats présidentiels peut être évoquée".
Dans la journée de vendredi, 72 heures après la sortie du ministre porte parole du gouvernement, le Palais des congrès a connu une nette effervescence dans les débats. Face à face, les partisans d’un troisième mandat et ceux qui s’y opposent. Dimanche, ils étaient 12 partis qui ont menacé de se retirer des travaux, pour protester contre les propos du ministre. Après Mohamed Lemine Ould Naty de l’Alliance populaire qui a soutenu que « la question ne figure pas à l’ordre du jour convenu", c’était au tour de Boidiel du parti El Wiam de signifier son opposition. “Rappelés à l’ordre” par les organisateurs qui ont mis en avant le caractère démocratique de tout débat, les dialoguistes, « opposants au troisième mandat » vont finalement revenir dans les travaux.
La question, source de conflit, na pas été retirée. Elle devrait dans tous les cas revenir lors de la formulation des recommandations. Et c’est exactement là où les défenseurs du troisième mandat comptent avoir gain de cause. Il s’agira de reposer la question dans les débats et le cas échéant, la proposer et la poser dans un vote. Les partisans du pouvoir étant largement majoritaire, les suffrages iront certainement en leur faveur. Pour le plus grand bien du président Ould Abdel Aziz qui n’aura plus qu’à s’adresser au peuple par referendum, avec une issue certaine et connue d’avance. Autre point que devraient se retrouver dans ce referendum ; la suppression du sénat, la majorité des participants étant tombée unanime sur la dissolution du sénat, assimilé selon les avis, à un conseil tribal et régional, plus qu’à une institution jouant un rôle dans le développement du pays et le renforcement de la démocratie.
MOMS
source l'authentic