Aujourd’hui j’ai fait du sport. Ouais M’sieur. Du vrai sport. Vu que comme le dit un ami, j’ai encore au moins (c’est ce « au moins » qui est sujet à sueurs froides) 26 kilos d’excédent de bagages, tout ce sport ne peut être que salutaire. Et même si j’ai un doute sur ma génétique et mes rondeurs, je m’attelle consciencieusement à épurer mon ardoise en matière de bagages en trop.
Je disais donc que j’ai fait du sport : je suis allée à la Somelec. Armée d’un optimisme indécrottable, lestée de tous les papiers requis, de l’argent tout aussi nécessaire, je me suis donc présentée dans les bureaux de cette vénérable institution électrifiante.
Je ne voulais pas grand-chose, juste ouvrir un compteur à mon nom. Dit comme ça ça parait simple. Mais rien n’est simple à la Somelec. Rien.
Pendant un court instant, je me suis crue dans un centre d’enrôlement : du monde, encore du monde, toujours du monde. A l’entrée, j’ai croisé un monsieur qui avait la tête des mauvais jours, genre désespéré. J’ai failli le prendre dans mes bras. Je me suis retenue à temps. Sa barbe n’aurait pas apprécié.
La Somelec c’est un trou noir : ça aspire tout, même les bonnes volontés.
Vous voulez payer une simple facture ? Comptez quelques heures de gymkhana. D’abord vous vous présentez à l’accueil. Là des filles vous regardent d’un air étonné en vous demandant ce que vous voulez. Vous sortez votre douloureuse, vous murmurez que « wallahi, dans votre grande bonté, si vous vouliez bien accepter cette petite participation modeste à l’électrification nationale, que Dieu vous bénisse...Vous seriez bien aimable d’indiquer à votre serviteur le guichet où je pourrais déposer mon obole… Ah, c’est celui du fonds ? Grand merci Madame, grand merci… Ah, il faut faire la queue ? Euh, la queue c’est le sit in qui est là ? Ma place c’est derrière ? Le dernier ? Comment ça il faut lire l’affiche ? Quelle affiche ? Ah oui celle où c’est marqué « premier arrivé, premier servi »… Dites donc Madame, Mesdames, ça fait beaucoup de « premiers arrivés» là… Euh, je fais de l’humour ? Je n’oserais pas…Mille excuses…. Je prends le rang… Comment ? Pas celui là ? C’est celui des femmes ? Pourquoi c’est plus rapide chez les femmes ? D’accord d’accord je me tais… ».
Les chanceux ont pu se poser sur les fauteuils. Une fois votre derrière arrimé au siège débute un étrange ballet bien orchestré : le client sauteur. Le premier fauteuil étant enfin convoqué par le caissier, il se vide. Le deuxième fauteuil s’empresse alors de sauter dans le fauteuil soudain libéré. Du coup derrière on fait pareil. Toutes les demi heures (oui oui payer une facture prend du temps), dans un beau mouvement général et bien huilé, ça se lève, ça change de place, ça se ré assoit, ça ré attend. Jolie chorégraphie pour votre servante qui, elle, bataillait pour un « je voudrais 10 ampères s’il vous plait », « faut l’écrire noir sur blanc » (elle est raciste cette phrase)…. J’écris « de, pour, objet, date, nom, matricule, mensurations, j’ai l’honneur de, veuillez agréer, etc etc, signature, point à la ligne ». Puis « photocopie passeport ». « Euh je n’ai pas fait de photocopie, je ne savais pas »… « Vous devez nous apporter une photocopie. Revenez tout à l’heure »…. « Mais ça fait une heure que j’attends. Vous ne pourriez pas faire une photocopie ? »… « Madame, à tout à l’heure ».
Donc on ressort, on photocopie, on revient, on reprend le rang, on contemple les fleurs en plastiques, on admire le jeu des chaises musicales, on parle au voisin….
« Voilà ma photocopie ». … Arrive le moment du « revenez demain pour payer ». « « Mais pourquoi je ne peux pas payer maintenant ? »… « C’est la procédure… ».
Quelle procédure ?
J’ai tenté de comprendre la procédure. J’imaginais un petit manuel à usage de l’électrifié moyen que nous sommes, plein de paragraphes, de procédures de survie, de conseils en cas d’éjection inopinée, de comment mettre le fil bleu sur le fil rouge et de technique concernant la mise à feu de la fusée…
« C’est la procédure »….
Nous en sommes à la troisième heure…. Je transpire. Je veux mon électricité si chèrement acquise à coup de fauteuil sauteur. J’ai faim. J’ai les muscles qui font mal. J’ai envie d’aller faire pipi mais je n’ose pas : un fauteuil vide est un appel à émeutes… Donc je reste, je saute, je re saute. De temps en temps je me relève pour voir si mon dossier, mon quitus, ma belle lettre au Père Noël des Ampères, ma photocopie, mon contrat de location et autres papiers étranges et obscurs ont avancé sur le bureau des donzelles. Mais, apparemment, les papiers sont à notre image : ils n’avancent pas vite.
Ou alors ce sont les demoiselles qui n’avancent pas vite. Je ne sais plus. J’ai faim. Mon voisin regarde fixement sa facture. Il a un impayé. Il médite sur les mille et une façons de se suicider. Je jette un coup d’œil indiscret sur ledit papier. Le nombre de zéros m’impressionne. J’ai presque envie de lui tendre une corde à mon voisin au fonds du trou.
Je médite sur les ampères. Je ne sais pas à quoi ressemble un ampère mais je sais que je demande 10 ampères.
Je médite sur le quitus.
Je médite sur la procédure et l’art d’envoyer une fusée dans l’espace ;
J’ai envie de fumer ; je n’ose pas. Je crains de perdre mes ampères.
Je fantasme sur mes mains autour du cou de la dame derrière le guichet…Je n’ose pas passer à l’acte car sinon je risquerais fort de m’éclairer à la bougie pour le restant de mes jours. Aujourd’hui les puissants sont derrière les guichets. Nous nous sommes les misérables.
Nous en sommes à la 4° heure. Mon dossier a rampé sur le bureau. Il a avancé de 10 centimètres. Il lui reste 10 000 kms à parcourir. Mais, elhamdoullillah, il a avancé de 10 centimètres. Il lui reste donc… euh je rajoute, je soustrais, je divise, je calcule et j’abandonne ( je demanderai à l’ami « excédent de bagages » de m’expliquer tout ça ; c’est un matheux ; chacun son trip)….
Nous voilà à la 5° heure. Je décide de jouer sur mes atouts. Toute melehfa dehors, sourire aguicheur et yeux de biche je m’en vais faire semblant de trouver un type à l’air important qui se balade derrière la dame du guichet.
Ca marche..Ok, ok, ce n’est pas mon charme qui a fonctionné mais le petit billet glissé dans la main.
Du coup ma beauté séductrice et mon portefeuille ont dopé mon dossier.
Nous en sommes à la fin de la 5° heure : j’ai enfin et obtenu mes 10 ampères et le droit que l’on vienne m’installer mon compteur dans l’après midi. Je reste persuadée que mes rondeurs charmeuses ont fait le job.
Je ressors. Il est 15 heures. Les fauteuils et leurs habitants continuent de sauter. Les fleurs en plastique sont tombées par terre. La dame du guichet à disparu. Une autre est arrivée. Elle somnole.
J’ai encore deux mois pour me préparer à l’épreuve du « je dois payer ma facture ».
Je croise un type qui a la tête de celui qui pense que tout va aller vite et bien. Il me regarde avec pitié. J’ai une mine suicidaire. Il n’ose pas me consoler ni me prendre dans ses bras….
C’est ça la Somelec. Une galaxie à part.
J’ai gagné : j’ai le droit à la lumière.
Et vous savez quoi ? Pendant que je pondais ma chronique il y a eu une coupure électrique. Ben oui….C’est ça la Somelec….
Salut….
Mariem mint DERWICH
source lecalame.infohttp://lecalame.info/?q=node/5184