Le Calame : Vous avez été nommé candidat de votre parti à la prochaine élection présidentielle. Quel est votre sentiment et comment allez-vous gérer cette importante consultation ?
Hamadi Sid’El Mokhtar,: Je remercie Le Calame, journal pionnier de longue date, pour cette opportunité offerte et lui souhaite, ainsi qu'à son personnel, toujours plus de succès et davantage de leadership dans le monde du journalisme, ce quatrième pouvoir porteur d’une mission essentielle pour l’enracinement de la démocratie et le contrôle de l'ensemble du système politique.
Après de longues concertations avec les instances de base, les cadres et les militants du parti, mes frères et sœurs des instances dirigeantes m’ont chargé de la responsabilité de me présenter à l’élection présidentielle. Une grande responsabilité et un lourd fardeau dont j’apprécie le poids. Toutefois, notre culture au sein de Tawassoul est basée sur deux principes : le désir de fonctions et des responsabilités et l'apitoiement sur soi de les assumer, d’une part, et, d’autre part, la soumission à la décision des instances, en se mettant à leur disposition lorsqu'elles nous chargent d’une mission ou nous mandatent d’une responsabilité.
Je crois que cette étape électorale est une importante consultation nationale et une opportunité pour nous, en tant que parti et en tant que projet politique, d’avancer pour réaliser le changement et assurer la réforme. Le parti a constamment veillé, dans toutes les échéances électorales, à œuvrer pour réaliser ce changement et cette réforme et continue avec détermination dans cette approche. Nous pensons que l'opportunité est plus grande aujourd'hui pour atteindre cet objectif, eu égard aux mauvaises conditions économiques et sociales et au besoin du pays de réaliser un développement véritable, rompant avec la culture politique qui a servi d’environnement favorable à l’émergence et à la propagation de la corruption administrative et financière, ainsi que de la pauvreté, la hausse des prix, le manque de justice, la mauvaise répartition des richesses et le relâchement de l’action gouvernementale.
- Votre parti a choisi de se présenter à l’élection du 29 Juin. En ce contexte, à quels défis se trouve confronté le mouvement « Tawassoul » ? Que répondez-vous à ceux qui disent que c’est déjà une bataille perdue d’avance ?
- Notre parti a pris la décision de se présenter, après avoir épuisé toutes ses tentatives de rassembler l'opposition autour d'un candidat unifié et après l’investiture de plusieurs autres candidats de celle-ci dans le marathon présidentiel. Nous avons alors décidé de nous exprimer ouvertement, surtout à la lumière de la confiance que les électeurs mauritaniens nous avaient accordée. C’est ainsi et pour de multiples considérations, notamment les messages envoyés par les électeurs qui nous ont confié la direction de l'opposition durant trois mandats parlementaires consécutifs, que nous avons décidé de nous présenter à cette élection.
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont principalement liés au contrôle du processus électoral et au comportement du principal concurrent, consistant à ne pas offrir la possibilité d'une concurrence équilibrée et à l'inégalité des chances dans la relation avec l'État. En bref, nous ne sommes pas confrontés à un problème d’approbation populaire, d’implantation ni d’acceptabilité du parti et de ses programmes. C’est, bien au contraire, la démocratie mauritanienne qui fait face à des défis en matière d'indépendance de l’État et de l'Administration vis-à-vis de l'exploitation politique par des partis associés au pouvoir.
- L'une des questions importantes de cette élection présidentielle est la transparence du scrutin. Pensez-vous que les conditions nécessaires pour des élections transparentes et équitables seront réunies le 29 Juin ?
- Nous avons vécu il y a quelques mois une expérience que nous souhaitons ne pas voir se reproduire : le niveau élevé des violations procédurières et la faiblesse inquiétante de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) à gérer l'ensemble du processus. Au cours de ces consultations, nous avons enregistré nos observations sur l’opération, voire revendiqué leur réorganisation en certaines circonscriptions. Des réunions ultérieures avec la CENI ont permis de réaffirmer ces remarques et de souligner la nécessité d'évaluer l'expérience passée. Nous avons même appelé à un dialogue inclusif afin de remédier aux irrégularités majeures en matière de supervision électorale et d’assurer un système garantissant l'intégrité et la transparence de toute élection.
En dépit de notre sentiment d’insatisfaction sur ces points, nous sommes aujourd'hui déterminés à faire pression et à lutter pour atteindre le niveau minimum de transparence. C’est cela, notre expérience et notre vision dans le développement du processus démocratique : élargir les marges, parvenir à les développer, par la présence, la participation et la dénonciation des fraudeurs, voire les actions à même de les empêcher de commettre des falsifications sous diverses formes.
- L’opposition a tenté en vain de se rassembler autour d’un seul candidat. Cela affaiblit-il les chances de ses candidats, y compris vous-mêmes ? Les partisans du candidat du pouvoir n’hésitent pas à parler d’une victoire dès le premier tour, comme cela s’est produit en 2019. L’excluez-vous ?
- Notre approche était basée sur la recherche d'un accord entre toutes les formations de l’opposition sur un candidat unifié et nous étions prêts à renoncer à notre droit de nous présenter, si elle s'y accordait. Mais nous n’en avons pas moins prêté attention avec respect à la deuxième approche, qui ne manque pas elle aussi de mérite. Elle dit de manière plus efficace qu’en cas d’investiture d’une candidature issue d’une formation de l’opposition, il s’agit de garantir ses votes au lieu d’orienter les partisans vers un autre candidat. C’est l’approche qui a été adoptée et nous espérons qu’elle produira d’excellents résultats pour l’opposition.
Quant au discours qui se moque du mécontentement dans toutes les régions, des faibles performances du pouvoir actuel, du mauvais état des services publics et des souffrances du peuple mauritanien, sous l’effet des prix élevés, du chômage contraignant les familles à laisser leurs jeunes enfants s’expatrier dans un voyage dangereux et aventurier, nous disons que quiconque prend cela à la légère sous-estime le peuple mauritanien libre. Nous pensons aussi qu’il est aveuglé par les fausses démonstrations organisées par certains cadres administratifs corrompus et submergés par la gabegie, toujours à la quête du maintien d'un État politique rentier qui troque la loyauté contre l’ancrage de la corruption.
- Pour étayer leurs arguments, les partisans du Président-candidat invoquent son bilan à la tête du pays. Comment évaluez-vous son premier mandat ?
- Nous pensons à Tawassoul qu'un niveau d'inefficacité significatif a caractérisé la période récente. L’action gouvernementale n'a pas abouti à des résultats structurels notoires ; les citoyens souffrent encore énormément, en raison du manque de services de base, comme l'eau, l’électricité et l'éclairage. Nous estimons également que les principaux secteurs souffrent d'une dégradation importante des services, les plaintes ne se comptent plus, ainsi que les problèmes dans toutes les catégories d’ouvriers. Il faut souligner par ailleurs que même l'apaisement politique que nous avons salué, n’a pas dépassé son aspect d’action strictement personnelle sans jamais déboucher sur une action institutionnelle ou des mesures pratiques réalistes. Le bilan est à mon avis décevant.
- Tawassoul est considéré comme le parti le plus démocratique et le plus représentatif des composantes du pays. Pouvez-vous nous dessiner sa vision de l’unité nationale ? Que pensez-vous des tentatives en cours pour parvenir à un « règlement consensuel » du passif humanitaire ?
- La Mauritanie est un pays multiethnique et divers ; ce qui est en soi une richesse dans le cadre rassembleur qu’est l'Islam, ses valeurs et ses références. La diversité au sein de ce cadre d'unité doit favoriser une coexistence commune, la bienvenue de la spécificité de chaque composante sociale, une garantie des droits dans un cadre de citoyenneté inclusive, de respect réciproque et de fraternité inclusive. C'est ce qui réalise une unité nationale solide et débarrassée du sentiment d'injustice, de marginalisation et d'exclusion. Le règlement du passif humanitaire hérité des pratiques des régimes non démocratiques qui a laissé des blessures parmi certaines composantes, contribue également à l’enracinement de l’unité nationale. Notre vision à ce sujet est un règlement qui assure la satisfaction des victimes à travers l’indemnisation, le droit de vérité, le dépassement des blessures et des mesures empêchant la survenance de telles pratiques.
- Quels sont les points saillants de votre programme électoral ?
- Notre programme électoral est basé sur un diagnostic établi avec exactitude scientifique et objectivité, d'une part, et sur la force de proposition constructive qui présente une alternative fondée sur le diagnostic précité, à partir des points de départ du parti et de sa vision de référence islamique. C’est ainsi que le programme s’est constitué autour de huit grandes approches de réforme, puisées d’un berceau que nous avons appelé le contexte général.
Ces approches sont le renforcement de l'identité islamique, le maintien de l'unité nationale, l’ancrage de l’État de justice et de droit avec des réformes politiques et juridiques bien pensées ; des priorités de réforme dans le domaine administratif et de la lutte contre la corruption ; secteur financier et bancaire adapté et efficace ; une société solidaire et une famille soudée avec des réformes sociales idoines ; l’armée et la sécurité au service du système républicain ; la diplomatie au service du développement et des causes justes. Ces approches sont accompagnées d'un programme détaillé qui définit les politiques globales de développement et les politiques sectorielles.
- Lors d'une conférence de presse organisée le 30 Mai dernier, l’Institution de l'Opposition Démocratique (IOD) a menacé de fonder son propre observatoire électoral de surveillance des élections, en réponse à celui mis unilatéralement en place par le gouvernement, sans concertation avec les partis d'opposition. L’existence de deux observatoires mène-t-elle au désordre ?
- La question la plus importante est peut-être la suivante : l’existence d’un observatoire unique assure-elle une implication sérieuse de la Société civile et favorise-t-elle la mise en place de mécanismes garantissant la transparence des élections ? Évoquer la création d’un observatoire crédible n’a rien à voir avec le désordre. C’est une démarche visant à assurer l'équilibre. Le désordre relève plutôt du refus du gouvernement à développer la concertation et le partenariat dans l’organisation des élections d'une manière qui assure la crédibilité et la transparence.
- Alors que la liste des victimes des bombardements [sionistes] s'allonge à Gaza, le monde arabe et l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI) continuent d’observer un silence total. Comment comprenez-vous cette situation tragiquement contradictoire ?
- Je voudrais d'abord souligner le soutien de Tawassoul, de ses militants et de ses symboles, à la vaillante résistance palestinienne, à l’instar de toutes les forces politiques du pays ; la mobilisation de tous ses moyens pour ce soutien, jusqu'à la victoire et la défaite de l'occupant. C'est une résistance victorieuse en raison de son héroïsme, de sa bravoure et de la fermeté de son incubateur populaire dont la détermination dépasse l’imagination et présente d’étonnantes et miraculeuses images d'héroïsme. Nous implorons Allah de lui accorder la victoire et la libération. Quant à l’état de solidarité dans le monde arabe et islamique, il est régi par la situation politique, la réserve des élites dirigeantes à s’engager explicitement au soutien à la cause palestinienne et l’impact négatif dont elles font l’objet par rapport à l’état d’influence dont jouit l’entité sioniste auprès des capitales occidentales. C’est aussi l’expression du laxisme et des problèmes présents dans la plupart de ces pays, parfois au niveau de la stabilité mais, plus fréquemment, à celui du développement politique.
C'est aussi l’occasion de saluer le consensus dans mon pays à soutenir à la fois les droits, la cause et la résistance des Palestiniens. Ce consensus est de longue date et n'a jamais failli, tout au long de l'histoire mauritanienne, exception faite des années malheureuses de normalisation, contre la volonté du peuple et des élites.
- Nous assistons à des bruits de bottes et à des affrontements faisant des victimes parmi les citoyens mauritaniens à la frontière avec le Mali. Quelle est votre avis sur cette situation ?
- La protection de la vie des citoyens relève de la responsabilité de l'État mauritanien et il est nécessaire de prendre les mesures nécessaires à cet effet, notamment en gérant les relations avec les États voisins de manière à assurer la sécurité mutuelle. Nous pensons que le recours de tout État à des massacres, sous prétexte de violation de frontières est un acte condamnable. Il est possible de traiter de telles violations sans effusion de sang. Cette situation doit cesser, puisqu’elle constitue un danger pour la stabilité et la paix régionale, ainsi que pour la vie des citoyens qui ne doivent pas être traités au dernier rang des priorités.
Propos recueillis par Dalay Lam
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