Le Calame: Le gouvernement mauritanien vient de créer un programme national de prise en charge des dermatoses dont la coordination vous est confiée. Qu’est-ce qui justifie cette décision ? Est-ce à dire que les dermatoses sont devenues un problème de santé publique?
Mariem Kébé : Cette décision survient après un long plaidoyer de la Société Mauritanienne de dermatologie face à l’ampleur de la prévalence des dermatoses sur le terrain. En effet, certaines dermatoses sont devenues un problème de santé piublique.
-Quels sont les objectifs et les moyens du PNPCD ?
Les objectifs du PNPCD sont de :
-Coordonner la prise en charge des dermatoses ;
-Elaborer et Mettre en œuvre la stratégie nationale ;
- Proposer des directives et formuler des recommandations ;
-Organiser des campagnes de sensibilisation et de mobilisation ;
- Communiquer en matière de prévention et de prise en charge des dermatoses.
Les activités du PNPCD s'articulent autour de la prise en charge déconcentrée des dermatoses courantes à travers la télé-dermatologie, la prise en charge au niveau du centre de référence, la sensibilisation autour de la Dépigmentation Artificielle, la prise en charge des Albinos, la collaboration avec le programme de la Lèpre, des maladies tropicales négligées…
-Il y a quelques mois, le gouvernement mauritanien a interdit les produits dépigmentants. Comment les dermatologues que vous êtes ont accueilli cette interdiction ? A votre avis, une simple interdiction suffit-elle pour vaincre ce fléau?
-En tant que dermatologues, nous sommes ravis de cette décision qui ne fait que rappeler cette interdiction car la loi pharmaceutique en vigueur dans notre Pays interdit de facto la vente des médicaments en dehors du circuit pharmaceutique. En effet, les corticoïdes, l’hydroquinone, l'Isotrétinoïne et autres utilisés pour se dépigmenter sont des médicaments détournés de leur usage habituel (mésusage) et qui ne devraient en aucun cas être vendus dans nos marchés.
En plus d’interdire la vente des produits dépigmentants dans nos commerces, il faudra :
- Appliquer cette interdiction à la lettre ;
- Continuer à sensibiliser les personnes qui pratiquent la dépigmentation avec l’aide de toutes les parties prenantes en particulier la société civile ;
- Légiférer autour de la question de la dépigmentation artificielle qui est un véritable problème de santé publique eu égard aux nombreuses complications y associées.
-La SMD et le PNPCD ont organisé, le 11 avril dernier, une journée nationale sur les dermatoses. Quelles sont les principales dermatoses qu’on rencontre en Mauritanie? Comment sont-elles prises en charge ? Et quelles ont été les principales recommandations de cette journée ? Comment entendez-vous les mettre en œuvre ?
Les dermatoses les plus fréquentes en Mauritanie sont
- Les dermatoses infectieuses (mycosiques, bactériennes, parasitaires, virales)
- Les eczémas
- Les complications de la dépigmentation artificielle
- L’acné…
La prise en charge des dermatoses est faite par les dermatologues au nombre de 19 dont 18 sont à Nouakchott et 1 à Nouadhibou. Pour optimiser la prise en charge des dermatoses, la société mauritanienne de dermatologie a mis en place un projet de télédermatologie pour les patients à l’intérieur des régions de l’Assaba, du Gorgol et du Tiris Zemmour. Une extension de ce projet est prévue cette année pour le Hodh El Chargui, le Guidimakha et le Trarza. Le PNPCD a l’ambition de mettre ce projet à l’échelle dès que possible.
En plus de ce projet, les médecins généralistes et les infirmiers seront formés à la prise en charge des dermatoses courantes.
La principale recommandation de la journée est d’élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale de prise en charge des dermatoses en collaboration avec toutes les parties prenantes.
-Qui se dépigmente en Mauritanie et d’où viennent les produits dépigmentants ? Quels sont les risques encourus ?
-Les personnes qui se dépigmentent en Mauritanie vont de celles qui ont la peau la plus claire à la plus foncée, des plus riches aux plus pauvres, de celles qui habitent en zone urbaine qu’en zone rurale.
Les produits proviennent des quatre coins du monde.
Les risques encourus sont nombreux :
- dermatologiques (infections mycosiques, bactériennes, virales, parasitaires, des atrophies cutanées à l’origine de troubles de cicatrisation, des vergetures, des tâches, de l’acné, de l’hirsutisme, de l’hypertrichose …) ;
- générales (diabète, hypertension artérielle, syndrome de Cushing, troubles neurologiques, troubles psychiatriques…) ;
- obstétricales (malformations fœtales, prématurité, hypotrophie fœtale…) ;
- Cancérisation sur des lésions l'ochronose exogène...
-Au cours de la rencontre du 11 Mai, on a noté la présence de vos collègues du Sénégal, de la Tunisie et de la France. Quels sont vos rapports avec ces collègues ?
-La société Mauritanienne de dermatologie collabore avec d’autres sociétés à travers le monde : La société Maghrébine de dermatologie, La société Ouest-Africaine de dermatologie, La société Africaine de dermatologie et de vénéréologie, la société française de dermatologie, la ligue internationale des sociétés de dermatologie…
Avec ces différentes sociétés, nous travaillons ensemble pour améliorer la prise en charge de nos patients en mettant en place des travaux scientifiques et des stratégies de collaboration.
-Quel est le rôle de la société mauritanienne de dermatologie dans la lutte contre les dermatoses en Mauritanie ?
-La société mauritanienne de dermatologie a un rôle primordial dans la lutte contre les dermatoses. Etant au premier plan dans la lutte contre cette prise en charge des dermatoses, il est important que la SMD puisse alerter les pouvoirs publics sur les différentes problématiques à ce sujet et œuvrer à participer aux différentes directives.
-Quelle évaluation faites-vous de la télé-dermatologie en Mauritanie ?
La télédermatologie en Mauritanie a eu un impact très positif sur la prise en charge déconcentrée des dermatoses. En effet, la télédermatologie a permis de :
- Former 32 agents de santé de l’Assaba, du Gorgol et du Tiris Zemmour (1 médecin et 1 infirmier par centre) ;
- Prendre en charge de Mars 2021 à Mars 2024, 9721 patients qui ont été traités dont 520 postés sur la plateforme Bogou pour l’aide au diagnostic d’un dermatologue.
Vu l’impact positif de la télédermatologie, il serait important de l’étendre aux autres régions pour y améliorer la prise en charge des dermatoses.
Propos recueillis par Dalay Lam
lecalame.info