Il est au cœur des soupçons de corruption sur fond de dopage russe et de détournement de millions d'euros des sponsors, mais il a toujours échappé à la justice française : Papa Massata Diack, le fils de l'ancien patron déchu de l'athlétisme mondial Lamine Diack, a de nouveau brillé par son absence lundi au procès de cette affaire tentaculaire, à Paris.
"Mmmhhhh ?", "pardon ?", "je ne comprends pas", "je ne sais pas" : l'ancien président de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF, 1999-2015), Lamine Diack, a opposé des réponses souvent embrouillées et parcellaires sur le volet sponsoring de l'affaire, abordé lundi. Jusqu'à ce que l'un de ses avocats, Me William Bourdon, lui fasse dire que son quatrième mandat à la tête de l'IAAF avait été "celui de trop" et qu'il aurait dû être plus vigilant: "incontestablement", a murmuré l'homme de 87 ans, cheveux blancs, boubou bleu ciel et lunettes attachées sur la tête par un épais élastique noir.
Quant à Papa Massata Diack, qui est resté à Dakar, il a fallu se contenter de ses réponses à un juge sénégalais en novembre 2019, dans les médias ou devant la commission d'éthique de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), dont il a dirigé la branche marketing.
- Commissions "exorbitantes" -
Le père et le fils sont jugés pour avoir permis de retarder, à partir de la fin 2011, des sanctions disciplinaires contre des athlètes russes soupçonnés de dopage. Leur but: obtenir un coup de main des autorités à Moscou dans le renouvellement des contrats de sponsoring et de diffusion avec la banque d'état russe VTB et la chaîne télévisée RTR, ainsi que des fonds pour financer des campagnes politiques au Sénégal.
Mais Lamine Diack comparaît aussi pour abus de confiance, soupçonné d'avoir permis à son fils, poursuivi pour recel, de s'approprier plusieurs millions d'euros dans les négociations avec les sponsors, la banque russe VTB, le coréen Samsung ou la chaîne chinoise CCTV. Soit en imposant ses sociétés comme intermédiaires, soit en s'attribuant des commissions "exorbitantes", autour de 20%, alors qu'il était déjà payé 900 dollars, puis 1.200 par jour de travail comme consultant marketing à l'IAAF.
A l'audience, en son absence, les mots de Papa Massata Diack sont tirés d'une interview à L'Equipe, en 2016: il s'y targue d'avoir apporté à l'IAAF la somme de 678 millions de dollars sur une enveloppe globale de 925 millions de droits marketing (près de 820 M EUR).
- "Casquettes" -
Les commissions sont tout aussi vertigineuses. A la barre, Lamine Diack se montre surpris d'apprendre que VTB avait payé 29 millions d'euros pour être sponsor de l'IAAF de 2007 à 2011, mais que sa fédération n'en a touché que 19. Les 10 millions restants ont atterri sur le compte d'une société de celui qu'on surnomme "PMD". Le père assure même qu'il ignorait que les droits marketing de l'IAAF étaient cédés au géant japonais de la publicité Dentsu, chargé à son tour de les commercialiser auprès des marques, ce qui permettait aux sociétés du fils d'intervenir comme intermédiaire.
"Ca ne vous posait pas de problème que votre fils intervienne avec deux casquettes, qu'il était rémunéré par l'IAAF et touchait de l'argent des sponsors?", lui demande la présidente du tribunal, Rose-Marie Hunault. "Je pensais qu'il pouvait vendre", bredouille Lamine Diack.
Puis c'est au tour du procureur financier, François-Xavier Dulin, d'énumérer les virements du fils sur le compte du père, entre 2011 et 2015. Au total, Lamine Diack a reçu environ 600.000 euros sur ses comptes bancaires, provenant de Papa Massata voire même de ses sociétés.
"Pourquoi?", demande le procureur. Lamine Diack n'en a pas de souvenir précis.
Resté à Dakar, "PMD" a bénéficié du fait que le Sénégal, comme beaucoup de pays, n'extrade pas ses nationaux. Mais l'homme est suffisamment bien introduit pour s'être vu octroyer un passeport diplomatique en 2014, ont relevé les juges d'instruction, qui ont déploré "l'absence totale de coopération" du Sénégal. Le dossier y est sensible dans ce pays, Lamine Diack ayant reconnu durant l'enquête avoir demandé aux Russes de financer l'opposition contre le président sortant de l'époque Abdoulaye Wade, finalement battu en 2012 par Macky Sall, qui a entamé en 2019 son deuxième mandat consécutif de président.
Le procès, où comparaissent six personnes, se termine jeudi.