Lorsque, le 23 Juin 2011, les députés sénégalais entreprennent l’examen du projet de loi instituant l'élection simultanée, au suffrage universel, du président et vice-président de la République, la rue s’embrase à Dakar. Devant cet énième tripatouillage de la Constitution, fixant, à 25%, le nombre de voix pour élire un « ticket présidentiel », jeunes, syndicats, opposition et société civile décident de s’unir, pour faire échec à cette tentative du président de l’époque, Abdoulaye Wade, de placer son fils Karim sur orbite. Toute la journée du jeudi, policiers et manifestants s’affrontent avec violence. Les leaders de l’opposition battent le macadam devant l’Assemblée nationale, malgré un dispositif de sécurité sans précédent. Face à un tel déferlement de citoyens mobilisés, d’un seul bloc, contre le danger, réel, pesant sur leur démocratie et contre les gesticulations d’un démocrate devenu autocrate, le projet de loi est retiré le même jour. Début de la fin pour le pouvoir de maître Wade. Il perd, quelques mois plus tard, l’élection présidentielle.
Cela s’est passé juste à côté de nous, dans un pays voisin mais, paradoxalement, à mille lieues du nôtre, lorsqu’il s’agit d’élections, de démocratie, d’opposition, de société civile, de syndicats. Où sont, présentement, cette opposition, cette société civile et ces syndicats, face au déni de démocratie que le pouvoir s’apprête à commettre, avec le recours au congrès parlementaire pour faire passer une réforme constitutionnelle ? En vertu de quoi décide-t-il de modifier la Constitution sans une large concertation ? Et pourquoi maintenant, à deux ans de la fin de l’actuel mandat présidentiel ? Pourquoi s’il y a urgence – et il n’y en pas – ne recourt-il pas au référendum, sachant, pertinemment, que le Sénat est forclos et l’Assemblée nationale ne représente pas grand-chose, puisqu’issue d’une élection boycottée par l’opposition ? En une phrase lapidaire, a-t-il le droit de changer notre drapeau et notre hymne national sans nous consulter ?
Si elle ne veut pas rater, et pour de bon, le train de l’Histoire, l’opposition doit sortir de sa torpeur. Organiser périodiquement des meetings, des marches, des conférences de presse et autres publications de communiqués, est une chose ; agir, quand il le faut, en est une autre, sans laquelle la première reste vaine. L’opposition sénégalaise a donné l’exemple. Elle est descendue dans la rue, pour obliger le pouvoir à faire machine arrière. Ses chefs étaient à la tête des manifestants, certains ont été blessés, d’autres tabassés et arrêtés. Elle a fait preuve de détermination et de courage et, lors du second tour de l’élection présidentielle, elle s’est levée, comme un seul homme, pour faire barrage au président sortant et élire son candidat.
Qu’attend la nôtre pour bouger, enfin ? Le pays part à vau-l’eau, ses ressources sont bradées, sa situation économique et sociale se dégrade, de jour en jour, et le peu de démocratie pour lequel elle se bat, depuis 1991, ne sera bientôt plus qu’un triste souvenir. Or c’est bien en forgeant qu’en devient forgeron, en agissant qu’on devient acteur, en s’unissant qu’on forme une unité. Dans une communauté d’actions courageuses et décidées. Ce n’est que d’elle que naît le « pouvoir du peuple », la démocratie, donc, directe, réelle. Tout le reste n’est que vents et mirages…
Ahmed Ould Cheikh