Le Calame: Le président Ould Ghazouani vient de nommer Ould Djay premier minister. Une première reaction?
Nana Mint Cheikhna: La nomination d'un premier ministre, en particulier au moment du démarrage d'un nouveau mandat, porte toujours une symbolique forte de la trajectoire future de la conduite des affaires.
Un message que le peuple est en droit, du fait de son incidence sur l'avenir, de décrypter sur la base du profil, des antécédants de celui qui décroche la timbale.
Il se trouve que le nouveau premier ministre s'était fait connaître à l'echelle gouvernementale pour la première fois comme économiste et financier attitré de ce qu'il est maintenant convenu d'appeler "la décennie".
Les résultats à la fin de cette fameuse décennie sont loin d'être convaincants et c'est là un euphémisme.
De plus cette décennie ayant fait l'objet d'une enquête parlementaire, la première dans l'histoire institutionnelle du pays dont le rapport avait abouti à une procédure judiciaire sur la base de chefs d'inculpation d'une extrême gravité, une procédure ayant abouti à l'emprisonnement de l'ancien chef d''État dont l'interéssé fut l'un des plus proches.
Le nouveau premier ministre, cité dans dans cette enquête et poursuivi en sa qualité de ministre en charge des finances et de l'économie, est soustrait à la surprise générale aux poursuites en phase d'enquête selon une base non elucidée.
Puis, très tôt, il sera remis en selle au gouvernement à la faveur des élections legislatives et municipales de 2023 qui lui furent confiées. Ce furent les elections les plus décriées au cours de notre récent parcours politique pour leur niveau exceptionnel d'abus et fraudes. Elles furent d'ailleurs unanimement dénoncées par l'ensemble des protagonistes politiques y compris par les partis de la majorité.
Dès lors, et sans aller au delà de ces éléments majeurs, est-il inquiétant pour la suite qu'il soit désigné premier de cordée d'une équipe censée gravir et surmonter la montagne de défis intérieurs et extérieurs auxquels l'État et le pays tout entier est confronté . Une situation qui impose des compétences non impliquées dans le magma politico-economique et susceptibles d'adopter une approche salutaire dans la gestion des affaires publiques.
Le président Ghazwani a prêté serment pour un 2e mandat. Qu’avez-vous retenu de son discours? Est-il différent de celui de 2019? Augure-il de changement de gouvernance?
J'ai retenu du discours du Président deux points :
1- l'engagement solennel à ouvrir un dialogue sur toutes les questions d'interêt national et sans exclusive. Un engagement qu'il faut saluer tout en espérant qu'il ne connaisse le sort du projet de dialogue precédent demeuré sans suite en dépit de l'urgence qui le caractérise.
2- la declaration consistant à affirmer que le mandat sera celui de la jeunesse et pour la jeunesse.
La jeunesse constitue en effet plus des deux tiers de la population et souffre essentiellement de chômage endémique du fait d'une économie non productive et qui ne créé donc pas d'emplois, d'une administration qui ne respecte pas les règles de recrutement transparentes, de la mauvaise qualité du système éducatif ainsi que de la quasi-inexistence de formation professionnelle etc.
La question de la jeunesse est un pan intimement lié au reste et ne peut être vue en terme générationnel exclusif.
Le président du conseil constitutionnel a tenu à prévenir des «chamailleries » sur un 3e mandat. Comment avez-vous accueilli cette sortie?
La sortie du Président du conseil constitutionnel est peut-être opportune si elle vise seulement à rappeler les termes de la loi et l'impossibilité juridique à revendiquer un troisième mandat.
Lors de la dernière présidentielle, le groupe du RFD auquel vous appartenez avait choisi de soutenir un candidat de l’opposition, en l’occurrence Me El Id. Quelle évaluation vous faite de ce choix et de son score? Le scrutin présidentiel du 29 juin a-t-il été transparent et inclusif ?
Vous dites que notre réaction aux résultats des élections présidentielles est timorée. Je vous rappelle que Me El ID était le candidat du parti FRUD et que le RFD l'a soutenu après avoir reçu 7 candidats en raison de son programme qui rejoignait le nôtre en ce qu'il propose des solutions equilibrées et justes à tous les problèmes du pays dans le respect de tous les citoyens. Le communiqué qu'il avait publié en sa qualité de candidat d'une grande coalition dont nous faisons partie est loin d'être timoré : il relève tous les problèmes qui enlèvent au scrutin sa crédibilité et dit prendre acte de la décision du conseil constitutionnel.
J'ajoute qu'il avait pris l'initiative de proposer aux candidats de l'opposition de se concerter afin de prendre une décision mais que ces derniers n'ont pas souscrit à sa demande
Toujours dans son discours, le président réélu s’est dit disposé au dialogue avec les acteurs politiques. Quel sens donner à cette main tendue? À quoi pourrait servir une telle offre au vu des dialogues et concertation précédents?
Je ne doute pas que l'ensemble des mauritaniens souhaiteraient vivement un dialogue sincère, inclusif qui poserait les problémes du pays et permettrait la constitution d'un front intérieur solide basé sur une plateforme acceptée par tous.
Cela permettra de dépasser les clivages socio-politiques en vigueur et clarifier une feuille de route consensuelle.
Il me paraît donc décisif que cette fois-ci soit la bonne car les annonces de dialogue commencent à perdre leurs poids du fait de reports successifs récents et non justifiés et du caractère plutôt superficiel des dialogues organisés au cours des années précédentes.
Etes-vous de ceux qui pensent qu’il faut dissoudre l’actuelle Assemblée nationale ? Si oui, pourquoi ?
La dissolution de l'assemblée n'est à mon avis opportune que si le processus électoral est revu dans le sens de la transparence, laquelle ne se limite pas au déroulement du scrutin proprement dit mais à son cadre général et surtout à une volonté politique avérée du pouvoir visant à instaurer une véritable neutralité de l'administration.
Propos recueillis par Dalay Lam
lecalame