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un grain de sable pour secouer la poussière...

Voilà que les USA imaginent une attaque en Mauritanie pour s'installer en Afrique de l'Ouest

Mardi 24 Octobre 2017 - 10:05

LES ETATS-UNIS VONT ENVAHIR L'AFRIQUE DE L'OUEST EN 2023 APRÈS UNE ATTAQUE À NEW YORK - SELON LE JEU DE GUERRE DU PENTAGONE


 

Dans son dernier article, « The US will invade West Africa in 2023 after an attack in New York – according to a Pentagon war game »  publié sur The Intercept, Nick Turse présente un « jeu de guerre » de très large ampleur et destiné à l’élite des académies militaires US qui a été organisé l’année dernière. Une sorte de jeu de rôle assez long qui a regroupé un grand nombre de participants et qui s’est donné les moyens d’un certain réalisme. Les futurs décideurs militaires, les stratèges de demain s’y sont adonnés à la simulation stratégique d’une guerre en Afrique de l’Ouest – sans se préoccuper de morale, soit, mais, plus étonnant, sans non plus se préoccuper de victoire. Il faut absolument lire l’article de Nick Turse pour prendre la mesure de la réalité qui y est décrite, parfois d’un ridicule désarmant et faisant naître en même temps un puissant malaise. « Le jeu de guerre, qui couvre le futur jusqu’au début de 2026, « se veut refléter une description plausible des tendances et des influences majeures dans les régions du monde », d’après les dossiers » (nous traduisons).  C’est un jeu de stratégie dont il serait intéressant d’interroger les présupposés.

Le point de départ du « jeu » est une attaque terroriste fictive à New-York, le 23 mai 2023 : « Cette attaque spectaculaire, qui causerait le plus grand nombre de victimes sur le sol US depuis le 11 septembre, n’est pas l’œuvre rebattue d’un scénariste de Hollywood – c’est en réalité l’une des intrigues centrales d’un récent jeu de guerre du Pentagone auquel ont joué certains des stratèges les plus prometteurs de l’armée. Cette attaque, et la guerre qu’elle déclenche, nous offrent un aperçu du futur tel qu’il est envisagé par certains des plus importants imagineurs [imagineers] de l’armée US, et de la formation de ceux qui vont diriger les guerres US dans les années à venir », explique Nick Turse.

« L’attaque du “23 mai” était une petite partie, mais décisive, d’un exercice de simulation mené l’année dernière par les étudiants et les facultés des écoles militaires de l’armée US, qui sont le terrain d’entraînement des généraux et amiraux en puissance. »
« Ils ont collaboré pendant plusieurs semaines dans un jeu de guerre à distance mené « avec des outils cybernétiques, par téléphone et par vidéo-conférence », d’après les documents du Pentagone obtenus par The Intercept. Ceci a culminé lors d’un exercice de terrain de 5 jours à l’Institut de jeux de guerre (Wargaming Institue) à la base de l’armée de l’air de Maxwell en Alabama. »
« Les documents sont composés de centaines de pages de résumés, de fausses estimations du renseignement, et de mises à jour publiées au fur et à mesure que l’exercice progressait. »

Certes, la stratégie est nécessaire. Certes, dans une certaine mesure, la défense est nécessaire. Mais la question qui se pose ici est : qu’attendre d’une telle formation ?

La prospective de pure fiction n’est pas le renseignement (au sens le plus large). Plutôt que la connaissance de risques potentiels, le véritable enjeu de tels exercices est peut-être à chercher du côté du conditionnement : créer les conditions garantissant le passage à l’acte (militaire). Les dés sont pipés car la logique selon laquelle les règles du jeu s’articulent – en l’occurrence la probabilité et la possibilité – est surdéterminée par les catégories comme « ennemis », « terroristes », « agression », « riposte », « action », « échec », etc. Comme dans un mauvais jeu de rôle. Les élites militaires n’apprennent pas à réagir à la guerre, ils sont formatés pour en pérenniser les conditions : quoi qu’il arrive, ce sera comme dans le jeu. Et il faudra répondre selon la règle de ce jeu de guerre.

Par ailleurs, il est contradictoire (si on a le moindre souci d’efficacité) de vouloir unifier de façon réaliste tous les exercices de simulations dans un grand « jeu », dans un grand récit, donc dans un univers de fiction dont on détermine soi-même les règles (voir le document mis en ligne sur The Intercept : le souci de « réalisme » est poussé à un point impressionnant puisque des données, des dépêches illustrées, des notes d’informations sur toutes sortes de pays à risque ou sensibles ont été fournies aux « joueurs », mais précisément ces informations sont fictives et laissent transparaître les stéréotypes en vigueur dans le renseignement et l’armée US. Par exemple, comment ne pas rire en lisant une phrase comme : « A steady increase in violence in northern Mauritania and Mali continues to frustrate Operation Desert Strike commanders as they struggle to counter a stubborn enemy »). Cela détruit la possibilité même qu’une quelconque « intelligence » (à tous les sens du terme : compréhension et informations, renseignements) de la singularité d’une situation ou même de l’ennemi dans son altérité puisse être obtenue de la sorte. D’autre part, cela limite aussi les capacités « créatives » des agents impliqués : ils ont un éventail (qu’on imagine bien limité, une sorte de QCM universel – comme on le dirait d’un tournevis)  de réponses qui leur apprendra seulement à réagir vite et de façon lisible (stéréotypée). En termes de stratégie, on peut imaginer mieux.

Cela en dit beaucoup aussi sur la vision du monde (au sens littéral : le regard porté sur les pays, les régions ; voir la liste de remarques pays par pays dans le document mentionné plus haut) des militaires. Parce qu’au fond, c’est toujours le même jeu. Il y a une abstraction déshumanisante qui sonne malheureusement comme la promesse que rien ne changera jamais. Que les conflits provisoires se prolongeront, que d’autres se déclencheront « automatiquement », inévitablement et sans fin. Les militaires sont conditionnés à ce genre de fatalisme. De ce point de vue, le fait que l’attentat fictif du 23 mai serve de point de départ est très révélateur : c’est LA cause, c’est LE déclencheur. La fiction sert ici à légitimer l’agression, qui n’est en réalité qu’un énième avatar d’une politique militaire impérialiste globale… mais c’est plus acceptable si c’est présenté comme réponse à une agression spécifique et choquante, on l’a vu après le 11 septembre. Or, aucune sortie de conflit ne semble avoir été programmée ou même envisagée, et cette logique semble vouée à se prolonger indéfiniment, sans raison.

En effet, que se passe-t-il dans le scénario du jeu de guerre ?

L’ennemi ? « En Afrique de l’Ouest, la présence d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) s’étend, s’appuyant sur les échecs au long-cours des efforts de l’anti-terrorisme US dans la région, notamment le soutien US aux opérations militaires françaises et africaines qui ont commencé en 2013, et elle semble désormais plus ou moins permanente. »

La réponse ? « Avec l’appui presque total du congrès et l’accord du gouvernement mauritanien, le président McGraw [fictif ; l’article de Nick Turse est très détaillé sur ce point]  unit ses troupes avec le Canada pour lancer l’opération « Desert Strike ». Des troupes US et canadiennes massives, appuyées par l’armée de l’air et la marine, débarquent en Mauritanie le 15 juin 2023, McGraw promettant au peuple américain une « opération bien planifiée, rapide et efficace qui sera achevée en trois ans ».

Les difficultés ? « Alors que le conflit entre dans sa quatrième année, les armes et les combattants continuent à abonder librement dans les zones de guerre. « Nous faisons de notre mieux pour travailler avec les États de la région pour contrôler le flot de combattants ennemis et d’armes qui rentrent au Mali, en Mauritanie et en Algérie, mais il n’y a pas assez de troupes pour être présents partout », admet le porte-parole de la coalition, le Colonel Byron Scales. » « La coalition, elle aussi, est un problème en elle-soi. » Et aussi :  « “Nous faisons face à un ennemi coriace et qui s’adapte », dit le Major Général Roger Evans, le commandant de l’opération « Desert Strike », à la presse en janvier 2026. « Mais notre coalition est plus coriace et s’adapte mieux encore ». Toutefois, même dans les jeux de guerre, il y a un décalage de crédibilité entre ce que des généraux fictifs disent à propos de guerres fictives et les faits (inventés) sur le terrain. Les documents d’exercice proposent une affirmation plus pessimiste sur cette guerre vieille de trois ans et demi. »

Le jeu prend donc en compte ce décalage ; au-delà de la propagande, que signifie « gagner » alors même que l’on perd ? Il semble évident pour les militaires qui conçoivent le jeu que la guerre annoncée pour durer trois ans, se prolongera : bref, qu’on ne gagnera pas la guerre, qu’on ne triomphera pas. Néanmoins, l’action militaire est encouragée… Cette logique paradoxale d’un état de défaite prolongé mais souhaitable m’a fait un peu penser aux jeux vidéo quand on ne peut pas mourir parce qu’on a débloqué les vies, les bonus ou les armes. Tu joues selon la règle du jeu mais tu ne la respectes pas. La botte secrète des militaires en l’occurrence, ce serait les contingents assurés (par la conscription, par le chômage et la misère ou encore par le patriotisme ?) et les stocks d’armes (l’atout magique du complexe militaro-industriel ?). La possibilité matérielle de soutenir cette guerre à l’infini et le coût humain ne sont pas vraiment pris en compte par le jeu, semble-t-il.

N’est-ce pas un peu comme pour la finance ? Un monde parallèle, une fiction avec ses lois ou plutôt ses mécanismes propres mais aussi beaucoup beaucoup d’imprévus (car ce n’est pas un vrai système, c’est une para-logique) mais cela importe peu car le but n’est pas d’avoir raison (de faire une action intelligente et raisonnable, justifiable : d’un point de vue moral ou politique) mais de gagner plus, en s’adaptant toujours. Comme dans la finance, tu peux perdre, parfois gros (des troupes, de l’argent). Mais par rapport à ceux qui ne jouent pas, tu es toujours gagnant. La question de l’intérêt ou non de jouer au jeu ne se pose même pas.

La situation développée par le jeu de guerre a beau être située dans le futur, elle ressemble trait pour trait à l’enlisement actuel des troupes : « Mais, même dix ans plus tard dans un futur de fiction, ces recommandations pour faire de cet échec en cours une autre guerre éternelle ressemblent beaucoup moins à une pensée prospective qu’aux solutions prévisibles des aventures militaires US contemporaines », conclut Nick Turse. « Mais, comme pour tant d’autres guerres et interventions US depuis 1945, les opérations militaires US ne se passent pas comme prévu et semblent plutôt prendre le chemin galvaudé des nombreuses guerres sans fin des Etats-Unis. » Ce semi-échec est comme présupposé par les rédacteurs du jeu et ne serait donc pas un échec dans la logique du jeu.

Celui-ci n’a d’ailleurs pas de conclusion :

« Le message d’Evans est le dernier qui est publié dans le segment « Opération Desert Strike » du jeu de guerre, donc nous ignorons la réponse du commandant de l’AFRICOM ou ce que le président McGraw finit par décider quand il est mis face à l’alternative de soit redoubler la guerre pour venger les morts victimes de l’attentat terroriste dévastateur, soit « perdre ». Étant donné l’éventail des réponses de la dernière décennie (et plus) aux échecs en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Somalie, au Yémen et en Libye, il n’est pas nécessaire d’avoir une boule de cristal, ou d’étudier dans une école de guerre militaire US pour avoir une assez bonne idée de ce que serait la décision du président McGraw. Il n’est pas très risqué de supposer que la guerre fictive des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest se poursuivra jusque dans les années 2030, tout comme leurs guerres des années 2000 se sont étalées jusqu’à la fin des années 2010. On peut presque imaginer les officiers militaires fictifs du monde imaginaire du président McGraw menant leurs propres jeux de guerre, planifiant leurs propres fictions de guerres éternelles qui s’étendent indéfiniment dans de lointains futurs de fictions. »

Comme le montre la mise en abîme de Nick Turse, il n’y a rien à apprendre ici.

Ce que les stratèges apprennent dans cet exercice, n’est-ce pas le jeu qu’ils seront ensuite amenés à répéter sur les terrains d’opérations ? Ils apprennent à abstraire une situation d’un contexte, pour simplifier les choix d’actions possibles (alternative : action / repos), sans jamais remettre en cause le cadre fictif nécessaire à cela. Enfermés dans leur fiction (dans la mesure où il s’agit d’un exercice de prospective il me semble justifié de parler de vision dé-lirante), et probablement grisés par ce jeu de stratégie, les apprentis maîtres du monde coupent les amarres qui les rattachaient à la réalité. Ils se complairont ad vitam dans ce cercle mortifère. Ils n’ont pas été programmés pour chercher des issues. Ils gèrent des conflits avec des moyens militaires. Il est facile de pointer les limites de l’intelligence artificielle face à des choix complexes, mais que dire alors des œillères volontaires des stratèges et des États-major ? Il y a fort à parier que les solutions diplomatiques, démocratiques, pacifiques, inédites, si elles sont intégrées à la fiction, ne le sont que comme des tentatives dont l’échec programmé sert à légitimer tous les renoncements. Mais ne leur faisons pas un mauvais procès, il serait bien étonnant de voir des militaires s’adonner à des « jeux de paix » dont le but serait d’éviter et de repousser par tous les moyens possibles les interventions militaires.

source: https://historiaesnuestra.wordpress.com/2017/10/23/la-regle-du-jeu/


En savoir plus sur http://reseauinternational.net/la-regle-du-jeu/#riaT6C9hAzMJVmd1.99



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