Les sénateurs, d’abord, puis l’opposition ont décidé d’attaquer le décret convoquant le collège électoral, pour un referendum fixé au 15 Juillet, afin de le faire invalider par le Conseil constitutionnel. Va-t-on assister à une querelle de procédures ? Tout porte à le croire, vu la détermination des protagonistes. Les sénateurs et le FNDU semblent en effet déterminés à faire échec à l’agenda du gouvernement. Un gros défi, face à l’arsenal dont dispose celui-là. Pour simple preuve, l’entrée en campagne, bien avant l’heure, des media publics, des fonctionnaires de l’Etat et des corps habillés.
Les sénateurs et l’opposition dite radicale se fondent sur les articles 99, 100 et 101 du titre X de la Constitution. Tant pour les premiers, désignés, eux, sous le vocable de « frondeurs », que pour la seconde, le referendum que le président de la République a décidé de convoquer, en se fondant sur l’article 38 de la Constitution, est anticonstitutionnel et illégal. Car toute réforme de la Loi fondamentale est régie par les articles 99, 100 et 101, et le reste, pour eux, est un coup de force contre lequel ils entendent s’opposer, justifiant leur argumentaire par la primauté, en l’occurrence de l’objet même de ce referendum, du spécifique titre X, sur le général titre II.
Côté pouvoir qui entend aller jusqu’au bout, le président de la République peut user de l’article 38 de la Constitution pour toute question d’intérêt national, réforme constitutionnelle incluse. Même si une telle analyse extensive pose la question de l’utilité du titre X – un argument logique de poids – il reste assez peu probable que le Conseil constitutionnel considère le recours du Sénat et de l’opposition. Un conseil constitutionnel qui n’avait pas été suivi, par le pouvoir, quand il lui avait demandé de procéder au renouvellement des groupes du Sénat dont les mandats étaient arrivés à terme, depuis des mois et des mois.
Le même Conseil constitutionnel se rappelle bien de comment le président de la République perçoit la position du Conseil des sages. Lors de sa prestation télévisée du 22 Mars, Ould Abdel Aziz avait en effet asséné, sans détour, que ledit Conseil ne pouvait être appelé à se prononcer sur le recours à l’article 38 pour convoquer le referendum, puisqu’« il n’y est, en rien, concerné ». Comment le président Sghair ould M’Bareck et ses pairs pourraient-ils répondre favorablement à la requête des sénateurs et de l’opposition ? La réponse paraît sans équivoque. Reste, selon un avocat de la place, proche de l’opposition, que, même si l’on peut s’attendre au niet des six sages de la gardienne de la Constitution, l’opposition doit user de tous les droits que lui confère la Constitution. A tout le moins, le recours permet de mettre en évidence, une fois encore, les violations des textes de la République par le pouvoir en place.
3e mandat : coucou, le revoilà !
Pendant que le pouvoir cherche ses marques pour la campagne référendaire, les partisans de Mohamed Ould Abdel Aziz remettent, sur le tapis, la question du troisième mandat. La question, qui pollua, lourdement, les débats du dialogue politique où le pouvoir fut suspecté d’user de tous les stratagèmes, pour la faire avaler, revient au galop, depuis que le premier des ministres, Ould Hademine, a déclaré, en campagne à Tintane que « le système actuel ne quitterait pas le pouvoir en 2019, date de fin de mandat du Président.
Les grosses pontes du régime commencent à rivaliser. Ould Maham, président de l’UPR, et Ould Cheikh, porte-parole du gouvernement, ont mis, eux, carrément les pieds dans le plat. Le premier n’évoque plus « le système », comme le Premier ministre, mais, ouvertement, d’Ould Abdel Aziz qui ne quittera le pouvoir en 2019. Dans quel pays vivons-nous ? On se fout de la Constitution et du bon sens. La Constitution mauritanienne et le serment de la protéger ôtent toute possibilité, à l’actuel président de la République, de modifier celle-ci, sinon à se parjurer. Le pouvoir va-t-il entrer en tel forcing aux conséquences incalculables pour le pays ?
Séisme ?
Le limogeage, coup sur coup, de deux hauts responsables, très proches et confidents du président de la République, Moulaye ould Mohamed Lagdhaf et M’Rabih ould El Weli, tout puissant ADG de l’état-civil, et la disgrâce de Mohcen ould El Hadj, président frondeur du Sénat, n’ont pas fini de livrer leur lot de révélations. Si le désormais ex-ADG est cité pour occuper le poste de DG d’une nouvelle banque, le sort d’Ould Lagdhaf et l’avenir de Mohcen demeurent inconnus.
Ces renvois en cascades, ajoutés à la guerre que se livrent le Sénat et le pouvoir, chargent encore la barque. Après avoir émis l’idée d’interpeler le Premier ministre, sur les relents tribalistes de son discours à Djigueni, les sénateurs n’excluent pas de mettre leur nez dans l’attribution des marchés de gré à gré aux proches du pouvoir, voire dans les sources de financements de la très réputée richissime Fondation Errahma que préside le fils d’Ould Abdel Aziz. Faut-il percevoir, en ces guéguerres jusqu’au sommet de l’Etat, une « atmosphère de fin de règne », comme l’avance un ancien des Cavaliers du changement ? Un analyste avertit ose, quant à lui, une comparaison avec le renvoi, par Ould Taya, au lendemain de la tentative de coup d’Etat des Cavaliers du changement, en 2003, de ses plus proches collaborateurs…
DL
Encadré
Référendum reporté ?
Des sources proches de la primature, le référendum prévu, le 15 juillet prochain serait reporté au 5 août. En effet, depuis quelques semaines, des rumeurs persistantes circulaient dans les salon et bureaux de Nouakchott évoquant le report. Pour certains, vu la détermination du président Aziz, lors de sa prestation télévisée, du 22 mars, le gouvernement respecterait jusqu’au bout de sa logique d’autant plus qu’il a réveillé la CENI, fixé la date de la révision des listes électorales, convoqué le collège électoral et décidé, de faire enfin voter un budget rectificatif prévoyant des moyens pour l’opération du 15 juillet prochain. A ces aspects techniques, il fallait ajouter des initiatives des acteurs et cadres politiques de l’UPR qui occupent depuis plus d’un mois les médias publics, mais également une guerre larvée contre les sénateurs et le FNDU, opposés aux amendements constitutionnels. Le décor était donc bien planté. Mais le gouvernement vient de se rendre à l’évidence en décidant de reporter la date du référendum au 5 août prochain. Même si le gouvernement n’avance pas de raisons officielles, tout porte croire que ce report serait lié au taux dramatiquement faible des nouveaux inscrits sur la liste électorale. On évoque moins de 10 mille inscrits. Malgré les efforts de la CENI et du gouvernement et de ses ministres, il n’y a aucun engouement des citoyens qui ne se bousculent devant les bureaux pour se faire inscrire. Les citoyens mauritaniens ont, en ce mois béni du Ramadan, la tête ailleurs. La majorité d’entre eux se soucient plus du quotidien, devenu de plus en plus difficile qu’un référendum dont le résultat ne changera en rien leur avenir.
Espérons tout simplement que d’ici là, le gouvernement et son opposition mettront à profit les deux mois à venir pour briser la glace et partant renouer le dialogue. Il y va de leur intérêt et celui, surtout, de leur pays.
source lecalame.info