Voilà une dizaine de jours que la frontière algéro-mauritanienne a été décrétée de manière unilatérale «zone militaire» interdite aux civils par la Mauritanie. Une décision lourde de sens qui émane certainement des chefs militaires et surtout du président mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz.
Ainsi, une vaste zone allant du quadrilatère compris entre Cheggat au nord-est, Aïn Ben Tili, au nord-ouest, DharTichitt au sud-ouest et Lemrayya au sud, soit une aire géographique couvrant toute la frontière mauritano-algérienne et le nord de la frontière algéro-mauritano-malienne, est désormais fermée. Et «tout individu circulant ou transitant dans cette partie du territoire national sera traité comme cible militaire», ont averti les autorités mauritaniennes.
Cette décision a surpris plus d’un et n’a pas provoqué de réactions chez le voisin algérien, même si on comprend qu’elle l’agace du fait de son caractère unilatéral, surtout que l’explication fournie par Nouakchott manque, pour certains, de clarté, en justifiant qu’«il est impossible pour l’armée de distinguer civils et trafiquants», dans cette zone.
De même, l’approche faite par certaines sources liant cette fermeture à l’arrestation d’orpailleurs mauritaniens par l’armée algérienne au niveau de la frontière est jugée trop légère par les observateurs avertis.
Ainsi, la question que tout le monde se pose est de savoir qu’est ce qui explique réellement cette décision unilatérale mauritanienne de fermer sa frontière avec l’Algérie.
Difficile d'y répondre du fait que les raisons sont jalousement gadées du fait du secret défense cher à la grande muette. L'absence de réaction algérienne aussi complique la recherche de la cause mais dit long sur l'embarras du voisin de l'est.
Reste que pour nombre d’observateurs avertis, le timing de cette décision pousse à avancer comme explication fondamentale le lancement prochain de la force conjointe G5 Sahel. Une force soutenue par Paris et qui ne fait pas plaisir à Alger, qui a été écarté alors qu’il faisait partie du Comité d’états-majors opérationnel conjoint (CEMOC), regroupant l’Algérie et les pays sahéliens dont la Mauritanie.
Or, si Alger est écarté directement de la force G5 Sahel, regroupant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, sous le parapluie de la France, avec pour mission de combattre le terrorisme dans toute la région du Sahel, tout le monde sait que le voisin algérien entretient des canaux de communication avec certains leaders de groupes terroristes, notamment Iyad Ag Ghali qui a réussi lui aussi à faire fusionner les groupuscules terroristes qui essaiment le centre et le nord malien et dont certains leaders ont des liens avec les services algériens.
D’ailleurs, conscient qu’Alger joue un rôle trouble dans cette région, le président Macron a appelé à trois reprises son homologue algérien pour lui faire part de sa préoccupation en ce qui concerne l’instabilité au nord du Mali et au Sahel en général. Ainsi, en soulignant que Paris aura «une exigence renforcée à l’égard des Etats du Sahel et de l’Algérie», Macron fait certainement référence au double jeu que certains accusent Alger de mener au niveau du Sahel.
A ce titre, certains observateurs expliquent qu’Alger avait favorisé la création en 2010 du Comité d’états-majors opérationnel conjoint (CEMOC), regroupant les pays du Sahel avec comme base à Tamanrasset. Toutefois, ce centre n’a jamais joué son rôle et a échoué lamentablement comme en atteste son inertie face à l’invasion du Mali par des groupes islamistes et terroristes en 2012.
Depuis, Alger n’ayant ni soutenu ni renseigné les Maliens, les pays du Sahel sont devenus plus méfiants à l’égard de cette puissance. Du coup, c’est vers Paris que ces pays se son tournés pour créer une force sous-régionale G5 Sahel et surtout disposer de la protection de l'ancienne puissance coloniale.
Ainsi, avec la création du G5 Sahel, le contexte a radicalement changé. Avec Alger comme allié et la neutralité longtemps affichée par la Mauritanie vis-à-vis des groupes terroristes, refusant ainsi de prêter main forte au Mali lors de son invasion en 2012, ou d’envoyer des soldats comme l’ont fait certains pays africains pour soutenir son voisin malien, le pays avait en quelque sorte tissé un pacte de non agression avec les groupes terroristes.
Seulement, avec la force du G5 Sahel, la donne change radicalement et la Mauritanie pourrait devenir une cible potentielle pour les groupes terroristes du fait de son alliance avec la France et les autres pays du G5 Sahel qui sont tous dans la liste des pays cibles du groupe d’Iyad Ag Ghali (France, Mali, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, etc.), nusrat al islam wal muslim.
En conséquence, les voisins craignent qu’Alger, qui se sent écarté de la gestion du terrorisme au Sahel, joue un rôle plus nuisible pour ses voisins à cause de ses «relations supposés» avec certains dirigeants de groupes terroristes.
Au delà, c'est l'influence de l'Algérie même au niveau de la région qui se réduit face au parapluie de la France. Ce qui explique, en partie, les réactions racistes de dirigeants algériens vis-à-vis des migrants subsahariens qui viennent essentiellement des pays sahéliens et plus particulièremnt du Mali et du Niger, membres de la forces G5 Sahel.
Partant, sachant que cette zone nord-est est un point faible du point de vue sécuritaire à cause des terroristes et trafiquants circulant entre Tindouf et le nord du Mali via le désert, la Mauritanie n’avait d’autre choix que de prendre la décision radicale de fermer cette frontière afin d’éviter des surprises comme celle de l’attaque terroriste de Lemgueyti, à quelques encablures de la frontière algérienne. Ainsi, épargnée de toute attaque terroriste dans cette zone depuis 2005, lorsqu’une unité du GSPC algérien avait attaqué une unité mauritanienne faisant 15 morts, 2 disparus et 17 blessés dans les rangs de l’armée mauritanienne dans la localité de Lemgheity poussant Ould Taya, président à l’époque, à déclarer le nord-est de la Mauritanie zone militaire, la Mauritanie semble vouloir prendre les devant et éviter toute surprise.
Ainsi, avec cette fermeture de la frontière, les contrebandiers de Tindouf et certains trafiquants alimentant le terrorisme seront obligés de passer par le territoire algérien pour regagner le nord du Mali où ils sont très actifs. Ce qui ne sera pas facile car Alger tient à contrôler son territoire. Un coup dur contre les trafiquants et les terroristes qui misent sur l’instabilité et voient d’un mauvais œil la création de la force G5 Sahel.
Karim Zeidane