Le Parc National du Banc d’Arguin (PNBA) est un joyau que Dame Nature a offert à la Mauritanie qui, à son tour, en a fait Don à la Terre et fait inscrire sur la liste du Patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO.
Le PNBA serait un estuaire de paléo fleuves qui se déversaient du Sahara. Il est caractérisé par des hauts fonds plats sillonnés par un entrelac de chenaux recouverts de prairies sous-marines particulièrement luxuriantes.
A lui seul, avec ses herbiers (photosynthèse) et son stock d’animaux à coquilles calcaires (carbonates), le PNBA peut séquestrer suffisamment de carbone pour faire de la Mauritanie un important puits à gaz à effets de serre au service de la Planète.
La biodiversité y tient un festival permanent ouvert au Peuple Migrateur sans visa Schengen à monnayer ni mur de Trump à escalader. Ils sont tous là. Des plus grands oiseaux migrateurs comme le pélican ou le grand cormoran jusqu’au plus menus comme la Bécasseau maubèche (limicole) qui parcourt plus de dix mille kilomètres sans escale pour gouter aux délices du PNBA et échapper à la rigueur de l’hiver européen.
Les tortues vertes en font leur garde-manger permanent qu’elles visitent une fois par an en provenance du Golfe de Guinée.
Les poissons de toutes sortes et de toutes tailles y trouvent refuge et font de ses hautes herbes leur écloserie, leur nurserie et leur lieu de villégiature loin du tumulte des bateaux à moteur et du chalutage des filets dérivants.
Ce petit paradis entre terre et mer où le moutonnement des dunes de sable vient passer le relais à celui des vagues de l’Atlantique bénéficie de la conjonction de deux courants nourriciers qui ne se réunissent nulle part ailleurs. Le premier est ce que les spécialistes appellent l’upwelling. Il s’agit de la remontée, depuis les profondeurs, de nutriments sous l’effet des vents forts venus du large. Le second est le transport éolien des nutriments et sels minéraux charriés par les vents venus du Sahara. L’addition de ces deux phénomènes ajoute au caractère exceptionnel du PNBA.
Mais ce paradis risque de se transformer, en quelques décennies, en enfer sur Terre. Une pollution insidieuse, lente mais irréversible est en train de s’y installer. Il s’agit de la pollution au mercure suite aux activités de l’orpaillage que les autorités ont imprudemment laissé s’installer à Chami (2012) qui jouxte immédiatement la Réserve et se situe au point le plus rapproché du littoral.
Le mercure est un métal liquide capable d’amalgamer l’or. Les orpailleurs l’utilisent pour extraire le métal précieux de son minerai. La roche est broyée sous un flux d’eau à l’aide de grandes meules rotatives. On ajoute du mercure à la boue ainsi préparée. D’après une publication de l’IMROP, il faudrait, pour extraire un kilogramme d’or, 6 kg de mercure, 16 tonnes de minerai et 83 tonnes d’eau. Avec ces quantités et suivant cette méthode d’amalgamation artisanale, seuls 30% de l’or présent dans le minerai est extraite. Les autres 70% restent dans les boues de production qui s’amassent en monticule en attendant d’être emportés, avec les résidus du mercure, par les vents vers le rivage du PNBA. L’or extrait du minerai se retrouve sous forme d’amalgame, une pâte grisâtre. Pour récupérer l’or pur, l’orpailleur procède à une opération dite « grillage ». L’amalgame est « grillé » au chalumeau ce qui permet d’évaporer le mercure et de récupérer le métal précieux. Le mercure ayant servi à l’amalgame part dans l’air et dans les voies respiratoires de l’orpailleur ! In fine, la totalité du mercure utilisé se retrouve dispersée dans la nature.
Le mercure est un produit hautement toxique. Son transport, son stockage et son commerce sont sévèrement réglementé par la convention de Minamata (ville japonaise portuaire théâtre d’une catastrophe sanitaire causée par la pollution au mercure) que la Mauritanie a ratifiée.
Le mercure attaque le système nerveux central, traverse les parois cellulaires y compris les parois placentaires et s’accumule dans les tissus musculaires. La forme la plus toxique est le méthyle mercure qui se forme à la suite du contact avec la vase, comme ce qui se passe sur le littoral du PNBA.
Les données expérimentales
De 2013 à 2016 un consortium composé de l’Institut Mauritanien de Recherche Océanographique et des Pêches (IMROP) et de l’Office d'Inspection Sanitaire des Produits de la Pêche et de l'Aquaculture (ONISPA), tous deux situés à Nouadhibou, ont procédé, sur commande de la Commission Environnement du Ministère du Pétrole, de l’Energie et des Mines, à un état des lieux (état de référence) en matière de pollution de l’ensemble du littoral mauritanien de la Baie de l’Etoile au nord jusqu’à N’Diago au sud. Deux stations du PNBA, Iwik et Mamghar, ont été concernées par cette étude. L’étude, dont les analyses ont été effectuées dans les laboratoire de l’ONISPA, a porté sur les micro contaminants (les métaux traces comprenant le mercure, les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAPs), les polychlorobiphényles (PCBs) et les Organochlorés (OCs)). Cet important travail a été rendu public sous la forme d’un rapport consolidé intitulé « RAPPORT SUR L’ETAT DE REFERENCE DU MILIEU MARIN ET COTIER MAURITANIEN » publié en mars 2018.
En 2021, l’IMROP rend publique un article présentant des résultats d’analyse du mercure dans la ville de Chami et dans quatre stations du littoral du PNBA à savoir Iwik, Baie Saint-Jean (proximité de Mamghar), Awtef et Ebelgyasan. Ces deux dernières stations sont proches d’Iwik.
L’étude, consultable sur le site de l’IMROP et dont les analyses ont été réalisées dans un laboratoire de l’Université de Bordeaux (France) est intitulée « Teneur en mercure et extraction artisanale aurifère : le cas de l’exploitation de Chami sur l’écosystème marin du Parc National du Banc d’Arguin, Mauritanie ». L’auteur principal en est le Dr. Wagne, écotoxicologue à l’IMROP.
La figure plus haut permet de comparer le niveau de contamination du PNBA entre les dates des deux études. La figure d’en haut montre les résultats de l’étude de référence. On remarque que la concentration du mercure, aussi bien à Iwik qu’à Mamghar (proche de la Baie Saint-Jean), est centrée sur la valeur de 0,005 mg(Hg)/Kg. C’est-à-dire que chaque kilogramme de sol (sédiment) contient 0,005 mg de mercure. La figure du bas est celle extraite de l’étude de l’IMROP. On y remarque trois choses importantes :
1. La concentration du mercure à Chami (prise dans le site d’extraction) atteint une valeur vertigineuse de 56,4 mg(Hg)/kg. Le site de Chami jouxtant le PNBA, la valeur référence de sa concentration en mercure doit être proche de celle d’Iwik, qui était de 0.005 mg(Hg)/kg. Ce qui correspond à une multiplication par 11000 de la concentration du mercure dans cette nouvelle ville.
2. Iwik et ses environs affichent une valeur de 0,5 mg(Hg)/Kg soit 100 fois la valeur de référence mesurée 8 ans auparavant. La Baie Saint Jean titre 0,35 mg (Hg)/Kg soit 67 fois la valeur de référence.
3. La publication de l’IMROP rapporte la valeur du PEL (Probable Effect Level) qui est la valeur limite au-delà de laquelle la présence du mercure devient dangereuse pour les êtres vivants. Cette valeur, pour le mercure, est de 1.06 mg(Hg)/Kg. Cette valeur est 56 fois dépassée à Chami. Le littoral du PNBA n’y est pas encore mais la vitesse avec laquelle le mercure s’accumule laisse présager le pire.
La publication de l’IMROP présente, par la suite, des résultats relatifs aux concentrations du mercure dans la chair des poissons et les plumes d’oiseaux du PNBA. A mon avis, il est trop tôt pour rechercher le mercure au sein de ces animaux qui sont placés très haut dans la chaine alimentaire. Des analyses du mercure dans le zooplancton aurait été plus pertinente.
En conclusion, aussi bien dans la ville de Chami qu’au sein des vasières du PNBA, la pollution au mercure a démarré. Elle risque d’être irréversible si les autorités ne prennent pas des mesures draconiennes et rapides dont la fermeture et la décontamination du site appelé « grillage » à Chami et l’obligation à faire aux orpailleurs de confier l’étape d’extraction de l’or à des professionnels (Maaden par exemple). Il est aussi urgent d’essayer les voies alternatives au mercure et notamment la méthode du Borax.
PS : Lien pour consulter l’article de l’IMROP : https://www.imrop.mr/document/teneur-en-mercure-et-extraction-artisanale-aurifere-le-cas-de-lexploitation-de-chami-sur-lecosysteme-marin-du-parc-national-du-banc-darguin-mauritanie/
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