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La Mauritanie a vraiment besoin d'une nouvelle approche de développement (1ère partie)

Jeudi 8 Février 2024 - 12:21

La Mauritanie a vraiment besoin d'une nouvelle approche de développement (1ère partie)

Qu'ils soient dans la majorité ou l'opposition, la plupart des Mauritaniens s'accordent à dire que le pays traverse une réalité difficile, marquée par une crise de développement persistante qui s'aggrave de jour en jour. Beaucoup conviennent que le modèle de gestion du pays depuis le début des années 1990 n'est plus capable, malgré la succession de plusieurs régimes, de fournir des solutions fondamentales aux problèmes auxquels le pays est confronté. La tendance générale est souvent de dissimuler et nier ces problèmes, sinon d’y présenter des palliatifs en forme de solutions temporaires.
 

Il est pourtant devenu essentiel, dans un pays comme la Mauritanie marqué depuis son indépendance par une inflation politique, un déficit de développement et une confusion économique, d'adopter une nouvelle approche prenant en considération les problèmes majeurs du pays et proposant des solutions radicales, dans un contexte de transparence totale et de révélation absolue.

Bien que le modèle adopté, du début des années 1990 à aujourd'hui, ait réussi à accomplir des réalisations importantes, notamment dans la construction démocratique, la consolidation des droits et des libertés, l’amélioration notable des infrastructures de base et l’augmentation quantitative de la scolarisation (surtout dans l'enseignement primaire), avec une ouverture civique et culturelle sur l'espace universel et un succès remarquable dans la préservation du pays contre les graves crises sécuritaires qui ont touché la plupart des pays de la région. Mais ce modèle n’en présente pas moins de nombreuses lacunes et inconvénients majeurs. En voici les aspects les plus saillants. 

 

Sur le plan politique

La carte est composée principalement : d’un grand parti au pouvoir, dominant et tirant sa force de deux facteurs sans lien avec sa nature et sa performance en tant que parti : premièrement, le fait que Son Excellence Monsieur le Président de la République en est la référence et, deuxièmement, l'ingérence entre les organes du parti et ceux de l'État, avec une utilisation de ces derniers au profit de celui-là ; des organisations d'opposition souffrant de faiblesse, de fragilité et d'une incapacité à se coordonner efficacement ; avec des dizaines de partillons et entités « administratives » fondés ou accueillis par certains régimes pour diluer la vie politique et étouffer toute tentative de construire une dynamique sociale indépendante.
 

Tout au long de ces décennies, on aura également noté  une intervention étatique importante dans la vie politique, la transformant en une pratique formelle qu'elle contrôle, en en faisant un domaine spécifique séparé de la société et n’en reflétant donc pas les contradictions mais plutôt le résultat d'échanges de rôles entre des entités dépourvues d'indépendance et de projet social clair. L'implication de l'État a vidé la pluralité de son contenu, établissant une carte politique fictive sans rapport avec la réalité sociale. Cet état de fait a provoqué une rigidité dans le discours public où de nombreux slogans et significations ont été consommés, tels que la réforme, la lutte contre la pauvreté, la corruption, le développement, l'emploi, au niveau officiel ; la lutte contre l'esclavage et contre la gabegie, pour l’unité nationale et la demande continue de dialogue avec le pouvoir, au niveau de l'opposition. Ces slogans ont perdu la noblesse de leur signification, sapant la confiance des citoyens dans les deux parties.
 

Le centre de l'action politique s'est déplacé du domaine public traditionnel vers le domaine public virtuel (Internet), creusant un vide duquel a émergé de manière frappante un discours populiste, dangereux et fragmentaire, trouvant dans les médias sociaux des canaux efficaces d'expression et de promotion. On note de surcroît une polarisation intense au niveau régional, enracinée dans des arrière-plans sociaux et des intérêts étroits, principalement responsables de l’entrave au développement des villes intérieures et de la dispersion de leurs ressources.

 

Sur le plan social

La société est divisée en trois classes distinctes. Une classe supérieure très minoritaire qui monopolise les privilèges, une classe inférieure de plus en plus pléthorique et fragile, avec, entre les deux, une classe moyenne qui diminue progressivement sous la pression croissante de la dégradation des conditions de vie. Cela menace le pont entre les deux premiers groupes et peut mener à une grave explosion sociale, similaire à ce qui s'est produit dans certains pays de la région où « les racines du Printemps arabe remontent au mécontentement de la classe moyenne », signalait déjà la Banque mondiale en 2015.

La hausse alarmante des taux de pauvreté et de chômage, en particulier parmi les jeunes et les diplômés, l’accroissement spectaculaire des taux d'abandon scolaire au Secondaire, l’expansion des catégories vulnérables et l’incapacité à suivre la croissance démographique signalent crûment le danger. Tout comme l’augmentation préoccupante de la criminalité sous toutes ses formes, dans un contexte de dégradation continue des valeurs et de déclin moral sans précédent.
 

La situation est aggravée par l'incapacité évidente des élites nationales à proposer, tant sur le plan théorique que pratique, une vision claire des réformes nécessaires, de leur nature, de leur contenu, de leurs domaines et de la gestion des affaires publiques nationales, dans toutes leurs dimensions politique, sociale, économique et communautaire. Cela a engendré un sentiment général de frustration, dans un climat négatif marqué par la perte de confiance envers les intellectuels et les politiciens, la crainte de l'avenir, le désespoir et le désir de changement exaspéré par la prise de conscience des injustices, exclusions et inégalités, dans un système représentant principalement les intérêts de l’oligarchie qui prétend le maîtriser.

 

Au niveau officiel

Faible confiance des citoyens dans les institutions en perte de contrôle sur les ressources humaines et financières disponibles et dans l'incapacité à proposer des alternatives crédibles, ne recourant en conséquence qu’à des solutions aléatoires, en insistant sur leur aspect festif. Dépendance quasi-absolue des aides techniques et financières étrangères, domination des abuseurs de pouvoir, entraînant une dilapidation des ressources de l'État et l'infiltration du dispositif administratif par des forces de corruption et des lobbies opportunistes. La situation a été aggravée par l'adoption, à certaines étapes, d'une approche étroite dans la sélection des hauts responsables, ressemblant à une cooptation sociale non déclarée, au détriment de la compétence et de la loyauté. Cela a alimenté les conflits et les rivalités locales, érodant le service administratif public dans des conflits arbitraires sans bénéfice réel.

 

Au niveau financier

Autre constat sans appel, le glissement progressif vers une politique fiscale stricte, transformant l'État en une sorte d'entreprise lucrative pompant les gains des citoyens pour combler le déficit budgétaire, au lieu de jouer son rôle traditionnel de protection du peuple. Cela s'ajoute à la nécessité récurrente de financements extérieurs par le biais de prêts supplémentaires, entraînant une fuite des richesses à travers le service de la dette.

La situation est aggravée par l'absence d'une vision stratégique claire et l'incapacité à suivre, depuis les années 90, le rythme des mutations successives, tant au niveau national qu'international, la faiblesse dans la régularisation et le développement des secteurs vitaux contraints par la prédominance de monopoles, la prolifération des spéculations et l'essor du marché parallèle au détriment de l'économie réglementée. Le retard de la Mauritanie sur tous les indicateurs économiques et de développement mondiaux au cours de cette période est un indicateur frappant de cet échec retentissant et de ses répercussions dévastatrices sur la vie des citoyens, leur pouvoir d'achat, leur santé, leur éducation et leur sécurité alimentaire. (Á suivre).

 

Boubacar Ahmed

Consultant et expert en Gestion

  boubacar4386@yahoo.fr

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