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un grain de sable pour secouer la poussière...

Autour d'un thé

Jeudi 23 Mars 2017 - 03:19

Autour d'un thé
Les Arabes disent que le vent souffle, parfois, ce que ne souhaitent pas les voiles. Nous, on dit que nul ne meurt sans avoir eu son jour. Quand je dis « nous », cette fois, ce sont tous les Mauritaniens, tous confondus. Comme un seul homme ou une seule femme. Qu’importe : l’essentiel est que, dans ce monde, tu peux tout voir. Tout regarder en face. Directement. Moi, pour être honnête, ma millième pensée ne m’aurait jamais emmené à imaginer qu’un jour, en cette terre de Mauritanie, la dix millième pensée des hommes et des femmes comptés et décomptés, sur un système qui les nourrit, les blanchit et les loge, les amènerait à voter contre sa volonté. Le Sénat de Mauritanie ressemble à la CAF : surprise générale.

Surprise totale. Les amendements constitutionnels et Hayatou ont coulé en même temps. Rien ne sert de nager, il faut plonger à temps. Finalement, le suicide collectif n’a pas eu lieu. Une élimination directe sans appel. Congédié, sans avoir l’œil derrière. Je ne pouvais pas ignorer l’actualité. Aussi faut-il que je parle de nos héros nationaux qui ont sauvé notre drapeau et hymne nationaux dangereusement menacés par des amendements nationaux déjà passés, vite, vite, par des phénomènes nationaux ennemis jurés des symboles nationaux. J’ai dit tout ça pour transiter vers l’autre sujet d’actualité : la belle langue française dont on célèbre, de maintenant à dans quelques jours, la Semaine.

Quand je dis français, je pense à l’école, puisque c’est là-bas qu’on l’enseigne ; avec l’arabe, bien entendu. Mais le sujet, aujourd’hui, c’est le français. Automatiquement, me viennent en tête des phrases chefs d’œuvre inoubliables : « Ici coupeur de tête », admirablement placardé à l’entrée du salon de coiffure d’un quartier populaire ; là, « Meyeure plasse » pour « pomper » les roues, quelque part sur une petite baraque au fond de la kebba. Les élèves « bondisseront », conjugue au futur un instituteur maîtrisard de l’université de Nouakchott et enseignant de français. « L’homme a été décapité mais a pu quand même se rendre à l’hôpital pour se soigner » : un véritable miraculé. Quelle chance ! Quel don de pouvoir marcher sans tête ! Il n’y a que la belle langue française qui permette de telles choses. « Lavaire de voitir », « tayeur de Touba », « Association des travails sociales de Dar Beyda » ou « charjeur batrie pour toutes jares (genre) de voitures ». Les Arabes disent que si le sens est compris, la formulation  ne compte pas. C’est quand, maintenant, qu’un élève de Mauritanie produit une admirable analyse logique de phrase ?

Pour dire, bien debout sur ses pieds, croisant ses mains avec assurance, que c’est une subordonnée relative ou une subordonnée conjonctive, introduite par telle conjonction ? Quel instituteur enseigne, aujourd’hui, les règles du Bled ou de Bordas à ses élèves ? Celui qui demande ne sait pas mieux que celui qu’il interroge. C’est un peu ça. Me revient, ainsi, en mémoire, une anecdote que me conte, de temps à autre, mon ami et patron Ahmed. Un enseignant reçoit, la visite impromptue de l’inspecteur. Les élèves lisent un texte. Le maître leur pose la question suivante : « Pourquoi l’auteur utilise, sans cesse, le mot néanmoins » ? Comme les élèves n’en savent rien dire, malgré les injonctions répétées de leur enseignant, l’inspecteur dit à celui-ci : « Allez, monsieur, répondez vous-même à la question ».

Patatras ! Comme ses élèves, le pauvre maître ne sait pas pourquoi l’auteur utilisait sans cesse le mot « néanmoins ». C’est quand ? C’est à quel niveau, maintenant, le français bien parlé ? Surtout pas à l’université où les étudiants en sont à chercher quelqu’un pour leur formuler la moindre demande de visa ou de réorientation. Surtout pas dans les bureaux où tu peux passer plusieurs heures à entrer et sortir, sans jamais trouver quelqu’un qui puisse te répondre correctement en français. Exactement comme cet usager, entrant dans un bureau bourré de soi-disant cadres : « Bonjour, tout le monde ! » Et l’un de ces cadres supérieurs de commenter, à l’adresse d’un ami : « Ah, si je pouvais parler français aussi bien que celui-là ! » Bonjour, tout le monde, et salut.

source lecalame.info
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